La tempête médiatique qui secoue Boeing ces derniers jours met tout le monde d’accord sur un point : l’avionneur va passer un mauvais moment boursier. L’action du géant américain a d’ailleurs déjà perdu 15 % sur un mois.
De son côté, Airbus accumule les bonnes nouvelles. Le constructeur dispose d’un catalogue idéal pour répondre aux besoins des compagnies aériennes qui abandonneraient Boeing et son 737 MAX, et va bientôt disposer de ressources internes supplémentaires avec l’arrêt de l’A380.
Faut-il donc parier sur la chute de Boeing, voire se positionner en long-short (acheter Airbus et vendre Boeing) pour profiter de l’inévitable report — selon le consensus — des commandes d’avions légers ?
Non, le 737 MAX n’est pas mort
Contrairement à ce que l’horreur des événements et la sévérité des autorités de régulation peuvent laisser croire, le 737 MAX n’est pas condamné.
Contrairement à ce que l’horreur des événements et la sévérité des autorités de régulation peuvent laisser croire, le 737 MAX n’est pas condamné.
Le fait que ces appareils soient cloués au sol n’a en fait rien d’exceptionnel.
Le 7 janvier 2013, un Boeing 787 Dreamliner flambant neuf a pris feu. Il avait été livré à la compagnie Japan Airlines dix-huit jours auparavant. Ce sont les batteries Lithium-Ion embarquées dans l’avion qui avaient surchauffé et provoqué un incendie difficilement maîtrisable. Cinq jours plus tard, un appareil identique opéré par All Nippon Airways devait effectuer un atterrissage d’urgence suite à un problème de batteries détecté en vol.
Par mesure de sécurité, la Federal Aviation Administration (FAA) avait alors ordonné l’immobilisation de tous les 787. Les analystes s’étaient émus de ce camouflet administratif et du manque de fiabilité du dernier-né de Boeing.
Nombre d’entre eux voyaient alors le Dreamliner commercialement condamné et Boeing contraint d’abandonner cet appareil trop moderne et si dangereux qu’aucun passager sain d’esprit n’oserait emprunter.
Pourtant, le Dreamliner est aujourd’hui présenté par les compagnies qui l’opèrent comme le fleuron de leur flotte. Les nouvelles technologies employées (ailes flexibles, batteries au lithium) ne font plus peur. Comment le 787 est-il passé du statut de paria à celui de star ? Grâce à un peu d’ingénierie et beaucoup de temps…
Construire un avion parfait n’est pas chose aisée
Les régulateurs savent que la conception et la fabrication d’un nouvel avion ne sont pas une mince affaire.
Parfois, comme pour l’A380, les problèmes sont identifiés à temps lors de la phase d’assemblage. Le programme prend alors simplement du retard.
Dans d’autres cas, comme pour le 787 Dreamliner, les problèmes ne se manifestent qu’après quelques centaines d’heures de vol. L’avionneur doit alors adapter son processus de fabrication et de certification des appareils produits pour s’assurer que les défauts identifiés ne puissent plus se produire. Les régulateurs du transport aérien ayant horreur du risque, ces mesures supplémentaires suffisent habituellement à éradiquer le problème sur ces appareils et les futures gammes.
Le cas tragique du 737 MAX n’est pas différent : il s’agit d’un appareil relativement récent qui, dans des cas particuliers, a un comportement si erratique qu’il peut conduire au crash. Nul doute que l’une des solutions que nous évoquions hier sera mise en place et que l’appareil sera bientôt de nouveau vanté par les compagnies pour son efficacité énergétique et sa modernité.
La sécurité dont bénéficie le transport aérien est construite sur les erreurs du passé, si malheureuses qu’elles soient, et la situation actuelle ne fait pas exception.
L’aviation commerciale : un marché à forte inertie
A moyen terme, la solvabilité de Boeing n’est d’ailleurs pas remise en question.
Bien sûr, certaines compagnies seront tentées de reporter leurs commandes, voire de les annuler pour remplacer leurs 737 MAX par des A320neo. Dans un premier temps, nous pourrions voir un mouvement de report du carnet de commandes de Boeing vers celui d’Airbus comment l’anticipent tous les analystes… mais le marché de l’aviation civile est bien particulier.
Le plus probable est que les compagnies aériennes n’annuleront pas leurs commandes mais profiteront de la situation pour faire jouer la concurrence.
Si je vous parle de carnet de commandes et non de ventes, c’est parce que ces appareils de nouvelle génération se vendent si bien que les constructeurs ont en permanence de très nombreuses commandes en attente. A l’heure actuelle, les précommandes enregistrées chez Boeing se montent à presque 5 000 appareils dont 2 600 737 MAX. Les analystes pessimistes soulignent avec raison que le 737 MAX représente la moitié du carnet de commandes de l’avionneur, et qu’une interdiction de vol définitive de cet appareil signerait l’arrêt de mort de la compagnie.
Cependant, comme nous l’avons vu, il est peu probable que le 737 disparaisse. Voilà qui écarte le scénario du pire.
Ensuite, n’oublions pas que les compagnies aériennes ont la plus grande peine à être rentables. Entre les coûts salariaux stratosphériques, la variabilité du prix du kérosène et la concurrence du low-cost, elles sont toujours à l’affût de sources d’économies.
Le plus probable est que les compagnies aériennes n’annuleront pas leurs commandes mais profiteront de la situation pour faire jouer la concurrence. Dans ce cas, Boeing devra accorder des ristournes sur ce modèle. En conséquence, les compagnies ayant passé commande pour des A320neo pourront à leur tour rediscuter les tarifs auprès d’Airbus…
Airbus et Boeing sont donc, paradoxalement, dans le même bateau. Tant que le 737 MAX n’est pas purement et simplement banni, les malheureux événements de ces derniers mois n’auront que peu d’influence sur les grands équilibres de ce marché très particulier.
Parier sur le déclin de Boeing est d’autant plus risqué que l’Américain a assemblé ce mois-ci son premier 777X. Vu le contexte, la cérémonie officielle a bien entendu été annulée et l’écho médiatique des plus réduits, mais cette annonce ne doit pas être prise à la légère.
Le 777X est le plus moderne des long-courriers. Equipé de moteurs GE9X, il fait partie de cette nouvelle génération d’avions économes en carburant. Avec sa capacité allant jusqu’à 414 passagers, il concurrence de front les vieillissants 747 et l’A380 dont les jours sont également comptés.
Le 777X, annoncé silencieusement ce mois-ci, va remplacer l’A380 et le B747 sur le marché des gros porteurs long-courrier. Crédit : Boeing
Je vous conseille par conséquent de rester à l’écart du trade « de bon sens » qui consiste à parier sur la chute de Boeing : les soubresauts boursiers de ces jours-ci ne présagent en aucun cas de l’évolution du carnet de commandes de l’avionneur et de sa rentabilité à moyen terme.
Je vous conseille de rester à l’écart du trade « de bon sens ».
Si l’action Boeing (NYSE : BA) est stable ces derniers jours malgré les nouveaux éléments apportés par l’enquête, c’est parce que les spécialistes de l’aviation savent que ce crash n’est pas nécessairement significatif sur le long terme. Les mains faibles sont sorties du dossier par une réaction épidermique, ne vous laissez pas piéger par les mains fortes qui peuvent propulser l’action sur ces plus-hauts historiques à la moindre bonne nouvelle !
Dernière minute : un nouveau 737 Max a connu un problème (non lié au système MCAS) aujourd’hui. Il vaut donc sans doute mieux encore attendre un peu avant de se placer. D’autant qu’une importante réunion doit se tenir aujourd’hui également à Renton. Boeing doit persuader les autorités que son correctif est efficace où Boeing.
Cependant au vu de notre analyse, nous pensons que c’est potentiellement un excellent moment pour entrer dans l’actionnariat de Boeing (US0970231058 – BA) en plaçant toutefois un stop loss aux environs de 350$ pour éviter la casse en cas de retournement des marchés ou si les choses ne se passaient pas comme prévues.