[Que diriez-vous d’un zeste de tenebrio molitor dans votre prochain plat ? Le ténébrion meunier, surtout connu pour sa larve sous l’appellation « ver de farine », s’apprête à faire son arrivée dans nos supermarchés et dans nos assiettes. L’EFSA vient tout juste de donner son feu vert…]
Courant janvier, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA, pour European Food Safety Authority en anglais) a donné son feu vert pour l’utilisation des larves de vers de farine dans l’alimentation humaine.
Jusqu’ici produits uniquement à destination de l’aquaculture et des animaux de compagnie, les vers pourront désormais être intégrés à nos aliments du quotidien.
Après l’alimentation animale, les larves d’insectes se dirigent vers nos assiettes.
Crédit : Ynsect/Facebook
L’heure de gloire de l’entomophagie
La décision était très attendue par les startups du secteur qui voient dans l’élevage d’insectes le futur de l’alimentation humaine. Tout comme la viande artificielle, la production d’insectes permet d’obtenir une grande quantité de protéines avec un impact écologique négligeable par rapport aux élevages traditionnels.
Les vers pourront désormais être intégrés à nos aliments du quotidien
Du fait du cycle de vie court des larves, de la simplicité du processus de séchage et de broyage, et de la possibilité de réaliser les élevages sur étagères pour maximiser le rendement, la production de protéines d’insectes nécessite près de 100 fois moins de surface agricole par kilogramme de protéines produit.
Ces avantages étaient déjà mis à profit dans l’aquaculture, très consommatrice de protéines animales. Elever des poissons carnivores nécessite de les alimenter avec des protéines, et le rendement total est désastreux. Utiliser des insectes plutôt que de recourir à la pêche permet d’éviter l’aberration qui consiste à utiliser des protéines pour produire des protéines : au moins l’élevage de vers de farine ne nécessite-t-il que des céréales.
Avec la possible utilisation dans l’alimentation humaine, c’est un marché de masse qui s’ouvre aux producteurs d’insectes. Chaque année, ce sont près de 8 millions de tonnes-équivalent-carcasse de viandes bovines qui sont produites et consommées en Europe. La volaille, de son côté, dépasse les 20 millions de tonnes par an. Une substitution infinitésimale de cette consommation par de la protéine d’insectes ouvrirait la voie à un marché considérable.
Où retrouverons-nous bientôt les insectes ?
Si la consommation d’insectes a lieu de façon habituelle dans d’autres régions du globe, force est de constater qu’elle ne fait pas partie des habitudes culinaires européennes.
Par principe de précaution, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire a déconseillé dans son avis la consommation d’insectes aux personnes souffrant d’allergies alimentaires et aux acariens. Les farines d’insectes arriveront par conséquent sur le marché avec non seulement une réticence culturelle, mais aussi une prudence sanitaire accrue.
Ce ne sont en tout état de cause pas les quelques communautés d’enthousiastes qui proposent déjà des recettes à base d’insectes broyés qui permettront l’émergence d’un marché de masse. Pour les producteurs, la rentabilité viendra lorsque les vers de farine seront intégrés à des produits de consommation courante.
Les compléments alimentaires pour sportifs, aliments ultra-protéinés, burgers et autres nuggets sont des cibles idéales. Le Français Ynsect annonçait d’ailleurs avoir déjà conclu deux contrats pluriannuels sur ces marchés.
Avec 77 % de protéines, la farine d’insectes peut être intégrée à des préparations tout à fait appétissantes pour un résultat nutritionnellement intéressant. Crédit : Avenia/Insecteine
Un marché européen en voie d’harmonisation
Avant la décision de l’EFSA, chaque pays européen appliquait ses propres règles face à la consommation de farines d’insectes. La commercialisation de ces produits n’était pas autorisée en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne. De leur côté, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et la Finlande avaient une approche plus permissive même si une loi européenne datant de 2018 était venue rappeler que l’autorisation de mise sur le marché ne pourrait avoir lieu qu’après avis favorable.
Les pionniers du secteur comptent bien en devenir les futurs leaders…
La décision de l’agence vient donc apporter un vent de soulagement aux acteurs qui vendaient le produit dans une véritable zone grise juridique, et permet d’anticiper une harmonisation rapide de l’ensemble du marché européen.
Dans tous les pays, les jeunes pousses du secteur sont sur les starting blocks pour passer leurs capacités de production à l’échelle supérieure. Micronutris, Protifarm (Pays-Bas), Essento (Suisse), Entogourmet (Espagne), Agronutris et Ynsect (France) vont jouer leur avenir dans les prochains mois. Après des années de travail acharné, elles devront prouver à leurs investisseurs historiques que se placer sur le marché très en amont des autorisations était un pari gagnant.
Signe que les startups sont prêtes à attaquer ce marché encore naissant, The Guardian faisait déjà état au 13 janvier de quinze demandes d’autorisation de commercialisation de produits alimentaires en Europe. Les pionniers du secteur comptent bien en devenir les futurs leaders…