L’hiver arrive. Et, d’un point de vue énergétique, il s’annonce bien compliqué cette année. Alors que l’Europe s’enfonce inexorablement vers une pénurie de gaz cet hiver, certaines projections permettent d’anticiper une augmentation sans précédent de l’activité du marché gazier. Et ce, dès 2023. Demain donc. Vous avez dit paradoxe ? Explications…
La crise du gaz russe a mis en lumière de manière criante l’absence de réseau unifié européen
En matière d’énergie, le temps long et le temps court sont décidément bien différents. Alors que l’Europe s’enfonce inexorablement vers une pénurie de gaz cet hiver, les projections dans l’après-crise permettent d’anticiper une augmentation sans précédent de l’activité du marché gazier. Et ce, dès 2023.
C’est un fait, nous passerons les prochains mois sous le signe de la sobriété énergétique – voire des pénuries. Mais l’urgence de la situation a provoqué un branle-bas de combat généralisé pour rendre les infrastructures gazières européennes plus résilientes.
Constatant l’impasse d’une dépendance à un unique fournisseur, les Etats européens ont multiplié les investissements cette année. Dès l’année prochaine, ils porteront leurs fruits et nos infrastructures, de transport et de stockage, entreront dans une nouvelle dimension.
Adieu le flux tendu où la moindre interruption cause des trous d’air irrattrapables dans nos approvisionnements. Place à un réseau robuste, disposant de marges de sécurité… et, qui plus est, prêt pour le zéro carbone.
Vers une infrastructure toujours plus dense
La crise du gaz russe a mis en lumière de manière criante l’absence de réseau unifié européen. Avec un simple changement dans l’équilibre des flux (les gazoducs se sont taris tandis que les importations de GNL ont augmenté), la situation des pays s’est inversée.
L’Allemagne faisait figure de pays privilégié avec l’accès direct au gaz russe par gazoducs, lesquels lui assuraient 55 % de ses besoins annuels à bas coûts. Elle paye désormais le prix fort de ce manque de diversification, et l’absence de terminaux gaziers permettant de recevoir du gaz naturel liquéfié (GNL) en fait le pays le plus susceptible de subir des pénuries énergétiques cet hiver.
Le projet de gazoduc entre l’Espagne et la France est de nouveau d’actualité
L’Espagne était un « ilot énergétique » mal intégré aux réseaux gaziers et électriques européens, et subissait des variations de prix importantes par rapport à ses voisins interconnectés. L’isolement joue aujourd’hui en sa faveur, et le pays regorge de gaz tout en disposant d’une électricité bon marché.
La volatilité inouïe des prix du gaz et de l’électricité, et les différences de situations entre Etats-membres, ont conduit l’UE à remettre en avant la solidarité et à multiplier les projets d’interconnexion. Le projet de gazoduc entre l’Espagne et la France, à l’arrêt depuis des années – sous la pression du gouvernement français –, est de nouveau d’actualité. Il faut dire que le coût de 3 Mds€, jugé trop important par rapport au service rendu à l’époque, apparaît maintenant dérisoire. Permettant d’acheminer jusqu’à 8 milliards de mètres cubes par an entre l’Espagne et l’Europe du nord, il permettrait à la péninsule de valoriser son accès au gaz africain et utiliser à plein ses terminaux méthaniers.
Les terminaux maritimes, l’avenir du gaz
C’est en effet par la mer que transitera de plus en plus le gaz. Si les gazoducs ont pour eux la possibilité de faire transiter des volumes colossaux à bas prix, leur installation point à point ne fonctionne par définition qu’entre un pays acheteur et un pays producteur. Pire encore, ils peuvent être la cible de sabotages ou de détournement de gaz comme le passé nous l’a démontré.
Avec la multiplication des méthaniers qui transportent des quantités faramineuses de gaz naturel – plus de 15 000 tonnes pour les plus gros navires –, il devient possible de faire transiter à rendement acceptable du gaz naturel sur toute la planète.
Après les supertankers qui ont révolutionné le marché international du pétrole dans les années 1970, l’ère des super-méthaniers est arrivée. Ici, le Tiger Maanshan, qui transporte jusqu’à 15 000 tonnes de GNL (photo : Yangzijiang Shipbuilding)
A l’instar du pétrole, le gaz naturel deviendra ainsi une énergie banalisée, où la situation géographique du producteur et du consommateur importe peu. Pour y parvenir, il faudra plus de terminaux GNL… et les dernières semaines nous ont prouvé que les investissements d’urgence des gouvernements européens vont rapidement porter leurs fruits.
La France va se doter d’un cinquième terminal d’importation de gaz naturel
La France va se doter d’un cinquième terminal d’importation de gaz naturel liquéfié au Havre, qui sera opéré par TotalEnergies. Il permettra d’injecter jusqu’à 5 milliards de mètres cubes de gaz naturel dans notre réseau national, soit à lui seul plus de 12 % de notre consommation nationale.
L’Allemagne, qui part de loin, rattrape à toute vitesse son retard. Le ministre allemand de l’Economie et du Climat, Robert Habeck, a annoncé début septembre que le pays disposerait, l’hiver prochain, de cinq terminaux gaziers. Le premier sera mis en service dès cet hiver, et sera suivi courant 2023 de quatre unités situées à Brunsbüttel et Stade (sur l’Elbe), et à Lubmin (sur la mer Baltique). Au total, le pays disposera dans une quinzaine de mois d’une capacité d’importation maritime de 30 milliards de mètres cubes par an, soit l’équivalent d’un tiers de sa consommation annuelle.
Considérant que cette infrastructure est le fruit de seulement six mois d’investissements, la performance est remarquable. Mieux encore, il ne s’agit pas d’un pis-aller temporaire mais d’un investissement qui servira encore lorsque l’Europe aura tourné le dos aux énergies fossiles.
L’hydrogène en ligne de mire
La question taraudait investisseurs et pouvoirs publics depuis des années : faut-il investir dans des capacités de production, transport, et stockage de gaz naturel sachant que cette énergie carbonée devra fatalement être abandonnée à moyen terme ?
Avec des investissements se chiffrant en dizaines de milliards d’euros à chaque étape de la chaîne de valeur, la question du retour sur investissement se posait de manière criante. Pire encore, des infrastructures coûteuses – et déjà financées – pouvaient apporter une inertie malvenue dans notre course au zéro carbone. Investir dans le gaz naturel aurait ainsi ralenti notre transition énergétique.
L’hydrogène pourra être injecté dans les gazoducs construits
La bonne nouvelle est que nous savons aujourd’hui que les infrastructures gazières pourront servir d’autoroute de l’énergie pour transporter de l’hydrogène vert. Potentiellement produit aux quatre coins de l’Europe – voire du monde s’il est importé par voie maritime –, l’hydrogène pourra être injecté dans les gazoducs construits dans l’urgence pour transporter du méthane.
De leur côté, les terminaux méthaniers construits cette année sont conçus dans l’optique d’une seconde vie zéro carbone : le cinquième terminal allemand, exploité par Tree Energy Solutions (TES), pourra être modifié pour être intégré à l’infrastructure hydrogène de TES. Sa durée de vie carbonée pourrait d’ailleurs être particulièrement courte puisque TES prévoit de débuter ses importations d’hydrogène dès 2025.
Selon ses détracteurs, l’hydrogène-énergie n’avait pas d’avenir en Europe du fait d’un manque criant d’infrastructures de transport et de stockage de gaz. La crise énergétique que nous traversons et les investissements qu’elle a provoqués font voler en éclats cette objection.