Accueil Enjeux Comment l’Europe a doublé les revenus de Gazprom

Comment l’Europe a doublé les revenus de Gazprom

par Etienne Henri

Le géant russe est loin d’être l’entreprise la plus en difficulté suite à la guerre en Ukraine. Si ses revenus pour 2021 avaient déjà explosé à la hausse, ceux pour 2022 s’annoncent encore meilleurs… Alors même que les discussions se multiplient pour savoir quand l’Europe finira par se couper de son approvisionnement en gaz et pétrole russe. C’était sans compter sur la réalité, qui est bien vite venue s’opposer à certains projets très théoriques…

Aussi contre-intuitif que cela paraisse, le spectre des mesures agité par l’Europe a principalement servi les intérêts de… Vladimir Poutine. En définitive, quand Bruxelles hausse le ton et menace de cesser les achats d’hydrocarbures russes pour éviter de financer la guerre en Ukraine, le régime de Moscou s’enrichit.

La raison est simple : les acteurs économiques détestent l’incertitude. Chaque fois que l’Europe évoque la possibilité d’une interdiction des importations, le prix spot du gaz naturel monte sur les marchés car les acteurs se livrent à une surenchère pour assurer leurs approvisionnements.

Dans le même temps, les volumes importés par l’Europe ne changent pas. Les gazoducs tournant à plein, les volumes exportés par la Russie ne baissent pas significativement – ils ont même été, durant la majorité du conflit, plus importants qu’au début de l’année.

volume de gaz russe importé par l'Europe

Evolution des importations de gaz russe de l’Europe depuis le 1er janvier. Source : Entsog.eu

Par conséquent, les rodomontades de l’Europe n’ont aucun effet sur notre indépendance énergétique, saignent nos budgets (la balance commerciale de la Zone Euro, traditionnellement excédentaire, a accusé un déficit record au mois de mars), et financent un régime avec lequel nous sommes en conflit.

2022 a très bien commencé pour Gazprom

Gazprom, le géant russe qui a le monopole des exportations par gazoduc en Europe, a publié un bénéfice net de 2 159 milliards de roubles au titre de l’année dernière (soit 28,4 Mds€). Par rapport à l’exercice précédent, il s’agit d’une augmentation de 1 300%.

Les ventes d’hydrocarbures russes en Europe sont passées de 12 à 22 Mds€ par mois depuis le début du conflit en Ukraine

Si la direction du groupe n’a pas communiqué d’estimations pour l’exercice 2022, les gains pourraient être encore plus importants avec un gaz naturel dont les prix se stabilisent, au cours spot comme sur les contrats à terme, autour de 100 €/MWh.

Au rythme actuel, les dépenses européennes en gaz russe pourraient ainsi dépasser les 140 Mds€ cette année. Gazprom étant sous contrôle majoritaire de l’État, ces flux monétaires que nous avons nous-même gonflés vont directement financer le régime de Vladimir Poutine.

Alors que la Russie vendait en moyenne 12 Mds€ d’hydrocarbures par mois aux pays de l’Union européenne, cette moyenne est passée à 22 Mds€ depuis le début du conflit.

Comment cesser de financer Moscou ?

L’Europe se met progressivement en ordre de bataille pour se passer à terme de gaz russe.

Pour la plus grande joie de Washington, le Vieux Continent progresse jour après jour dans son projet de se détourner de la manne orientale d’hydrocarbures qui était à la fois pratique à importer et peu chère.

En pratique, nous libérer de notre dépendance à Moscou sera à la fois coûteux et particulièrement lent.

Pour la Finlande, par exemple, se passer de gaz russe peut sembler à première vue chose aisée.

Le méthane représente, en effet, moins de 10% du mix énergétique du pays. En terme d’ordre de grandeur énergétique, opérer une substitution vers l’électricité ou l’hydrogène n’est pas insurmontable… mais les choses sont plus compliquées en pratique.

Il faut savoir que la majeure partie de la consommation est industrielle, et toute diminution de la consommation se fera au détriment de l’activité économique.

En Finlande, fermer le robinet impose de recréer ex nihilo une nouvelle filière

Pas question de troquer les plaques de cuisson à gaz pour un four micro-ondes ou de « mettre un pull en hiver » comme le conseillaient nos dirigeants il y a quelques semaines : pour les Finlandais, chaque mètre-cube de gaz indisponible conduira à une baisse du PIB avec des conséquences négatives en cascade pour l’économie.

Pire encore : la Finlande dépend en quasi-totalité du gaz russe pour ses approvisionnements. Fermer le robinet n’impose donc pas simplement de modifier, à la marge, les importations, mais bien de recréer ex nihilo une nouvelle filière.

Pour l’instant, le pays a prévu de se tourner vers son voisin lithuanien. Mais ce pis-aller ne fonctionnera que tant que le reste de l’Europe sera suffisamment approvisionné pour disposer de capacités excédentaires.

Le Danemark continue la course au zéro carbone

Chez le voisin danois, la situation est simplifiée par le fait que le pays dispose d’importants gisements maritimes de gaz. Grâce aux plates-formes en mer du Nord, le pays produit encore 72% de sa consommation de méthane. Pour cesser de commercer avec Moscou, il lui suffira d’ouvrir le robinet des gisements existants qui ne tournent pas à plein régime.

Copenhague prévoit ainsi d’atteindre l’autosuffisance dès l’année prochaine, et pourrait même devenir exportateur net de gaz et subvenir ainsi aux besoins du reste de l’Europe.

Est-ce la fin, pour le Danemark qui faisait office de pionnier de la transition énergétique, de la course au zéro carbone ? Absolument pas, si l’on en croit les dernières annonces de ses dirigeants.

La première ministre danoise Mette Frederiksen a annoncé lors d’une conférence de presse confirmer l’objectif de cesser l’exploitation de ses ressources en hydrocarbures à l’horizon 2050.

Le pays va, dans un premier temps, multiplier par quatre sa production d’énergie éolienne et solaire d’ici 2030 – une prouesse lorsque l’on sait que le Danemark tire déjà plus de 52% de son électricité de ces sources d’énergie. La construction d’éoliennes et de fermes photovoltaïques ne va pas ralentir de sitôt.

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2 commentaires

Tamino 30 mai 2022 - 17 h 26 min

Comment peut on imaginer un tel volume de bêtise de nos dirigeants, sensés être intelligents ?

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Laglute 13 juin 2022 - 11 h 45 min

Ils sont intelligents pour leurs intérêts propres, pas pour les nôtres…

Malgré cela, cette guerre arrange bien les tenants du Great Reset.

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