[Pour entrer en Bourse, les startups techs passent de plus en plus par la cotation directe. C’est notamment le cas de Wise, Spotify, Slack, Asana et Palantir Technologies. A l’instar des SPAC, ce nouveau mode opératoire à vocation à se multiplier dans les prochains mois. En effet, en plus d’être ultra simple, il est bien meilleur marché qu’une introduction en Bourse classique (IPO). Qu’en est-il pour l’investisseur particulier ? Voici tout ce que vous devez savoir sur cette méthode d’introduction boursière de plus en plus populaire…]
Comme je vous l’ai expliqué précédemment, Wise est une startup flanquée d’un potentiel explosif. Pour son IPO (introduction en Bourse), elle a choisi une voie peu commune. En effet, plutôt que d’opter pour une IPO avec émission d’actions nouvelles, l’entreprise a décidé de passer par une cotation directe de ses actions existantes. Ce sont donc ses actionnaires actuels qui, après avoir confirmé leur volonté de céder leurs titres, deviendront les premiers vendeurs lors du début des échanges.
Wise fait partie des pionniers de la cotation directe
Wise fait partie des pionniers de la cotation directe.
Ce mécanisme fut inauguré au Nyse avec l’arrivée de Spotify en 2018, puis avec Slack en 2019. En 2020, Asana et Palantir Technologies ont également opté pour cette procédure originale. Et, dans les prochains mois, vous verrez certainement fleurir les dossiers présentés en cotation directe. Voici donc tout ce que vous devez savoir sur cette méthode d’introduction boursière de plus en plus populaire et, surtout, en tant qu’investisseur particulier, comment vous devez l’aborder.
Une cotation directe n’est pas une IPO
Techniquement, en Bourse, une cotation directe n’est pas une IPO (Initial Public Offering) dans la mesure où il n’y a pas d’offre de la part de l’entreprise. Aucune action nouvelle n’est émise, aucune modification du capital n’intervient. Pour faire simple, il s’agit surtout, pour les actionnaires actuels, de se délester des actions qu’ils détiennent déjà.
C’est la complexité du processus et les risques inhérents à chaque étape qui font régulièrement échouer des IPO
La différence peut sembler ténue, mais change tout pour les gérants – surtout en termes de simplicité du processus. Ne pas émettre de nouvelles actions permet à l’entreprise de s’éviter bien des efforts…
Et, pour le comprendre, il nous faut d’abord revenir sur ce qu’est une IPO. Et, contrairement aux apparences, l’opération est rarement bien orchestrée. Pire, les mois précédant le premier jour de cotation s’apparentent plus à un marathon éreintant qu’à une promenade de santé. Et ils s’achèvent par un sprint chaotique !
D’abord, les dirigeants doivent se faire accompagner de banques d’affaires, lesquelles analyseront l’entreprise et détermineront le bon prix des futures actions – leur bon prix donc. Vient ensuite l’étape du roadshow durant laquelle les fondateurs passent des semaines (quand ce n’est pas des mois) à séduire les investisseurs pour obtenir des pré-engagements de souscription. Ceci fait, les communications publiques s’enchaînent auprès des petits porteurs, avec un coût non négligeable, pour remplir le carnet d’ordres avant l’ouverture des cotations. Enfin, quand vient le jour J, le travail n’est pas terminé puisque actionnaires et analystes scruteront impitoyablement la variation du titre. Si le prix double dans les premiers jours, l’entreprise passera pour la nouvelle coqueluche de la cote. En revanche, si le prix s’effondre, le dossier sera cloué au pilori et perdra toute crédibilité pour les années à venir.
C’est la complexité du processus et les risques inhérents à chaque étape qui font régulièrement échouer des IPO pourtant prometteuses. Nous avons d’ailleurs vu, au cours des dernières semaines, deux IPO annulées à la Bourse de Paris.
La cotation directe n’a aucune conséquence pour l’investisseur particulier
La première concerne ekWateur, un fournisseur d’énergies alternatives qui se focalise sur la transition énergétique et les énergies renouvelables. Malgré son succès commercial et son activité en constante augmentation, le concurrent d’EDF a certainement souffert d’un prix par action trop élevé, de son positionnement de David contre Goliath, et d’une certaine méfiance face aux valeurs vertes. Plus étonnant encore, l’IPO de Parts Holding Europe (PHE), la maison-mère d’Oscaro détenue par Bain Capital, a elle aussi été annulée. Pour cette opération, impossible d’évoquer un problème de notoriété, Oscaro étant une entreprise connue de tous…
Ces deux échecs simultanés sur des dossiers diamétralement opposés montrent qu’une IPO peut échouer jusqu’au dernier moment.
La cotation directe permet de s’affranchir de ces risques. Tout au plus faut-il, pour l’entreprise, assurer une visibilité correcte à l’opération pour éviter une absence totale d’acheteurs lors du début des cotations… mais il s’agit-là du b.-a.-ba de la communication d’entreprise et des garde-fous sont généralement en place (comme des périodes de lock-up des actionnaires existants qui ne peuvent céder leurs titres trop rapidement) pour éviter une saturation du carnet d’ordres.
IPO et cotation directe : fonctionnement équivalent, philosophie opposée
En surface, la cotation directe ne change pas grand-chose pour les particuliers et institutionnels qui souhaitent acquérir des titres en Bourse. La seule différence notable est l’absence de visibilité quant à la quantité d’actions qui sera effectivement disponible et à quel prix le premier jour de cotation, mais le fonctionnement est ensuite identique.
Une fois la cotation ouverte, la provenance des actions n’a plus aucune importance. Il suffit de passer son ordre d’achat à cours limite pour obtenir des actions au cours souhaité – si tant est bien sûr qu’il existe un vendeur disposé à les céder.
Voir une entreprise opter pour une cotation directe plutôt qu’une IPO n’a donc pas d’impact significatif pour un particulier qui comptait acheter des actions une fois la cotation débutée.
Au niveau fondamental, en revanche, le message est très différent. Dans une IPO, les actionnaires existants acceptent d’être dilués (ils voient leur pourcentage de parts détenues se réduire) pour apporter de l’argent frais à l’entreprise. Dans le cas d’une cotation directe, ils cèdent leurs actions pour matérialiser une plus-value sonnante et trébuchante.
Des dossiers à étudier plus attentivement que jamais
Lorsque l’on achète un actif, comprendre la motivation du vendeur est un élément crucial pour savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise affaire. Lors d’une IPO, la mécanique est transparente : l’actionnariat existant se fait diluer pour financer la croissance de l’entreprise. Aux acheteurs de déterminer, en étudiant le dossier, si l’entreprise fera bon usage des fonds levés.
Lorsqu’il s’agit d’une cotation directe, l’entreprise ne gagnera pas un centime. L’opération n’apporte pas de bénéfices immédiats, il est donc crucial de déterminer pourquoi elle a lieu.
S’il s’agit de créer une communauté d’investisseurs-actionnaires, il peut être intéressant d’y participer. Le fait même d’être cotées donne souvent aux entreprises une notoriété et une visibilité qui augmentent in fine leur chiffre d’affaires. C’est typiquement le cas de Wise. Avec une clientèle de particuliers hyper-connectés, et d’entreprises travaillant à l’international, Wise a certainement bien compris que ses futurs actionnaires seraient ses meilleurs ambassadeurs.
Les opérations neutres en capital doivent être considérées avec la plus grande prudence
En revanche, toutes les entreprises ne s’adressent pas à une clientèle financièrement éduquée et une cotation en Bourse sans levée de fonds laisse planer le doute quant aux motivations des actionnaires. Si la cotation directe n’est pas le premier pas vers une IPO déguisée (pour préparer l’émission de nouvelles actions), et que l’entreprise n’a pas besoin d’argent frais, pourquoi les actionnaires cèdent-ils leurs parts ? Doit-on comprendre que le potentiel de croissance de l’entreprise est épuisé ?
A l’heure où les entreprises ont les poches plus pleines que jamais du fait de l’afflux d’investisseurs en private equity et de la multiplication des aides publiques, les opérations neutres en capital doivent être considérées avec la plus grande prudence.
Regardons par exemple le cas de Slack, qui s’était introduite en cotation directe au NYSE en juin 2019 sans raisons bien évidentes à l’époque. Six mois plus tard, l’action était en repli de -42 %. Il lui a fallu près d’un an pour qu’elle retrouve brièvement le cours de clôture de sa première journée de cotation, et une pandémie pour qu’elle s’y maintienne durablement.
Lorsque la présence en Bourse n’a pas d’intérêts stratégiques,
une cotation directe doit alerter sur les motivations réelles des actionnaires
Infographie : Investing
Comme les SPAC, les cotations directes sont des outils boursiers qui présentent tous les avantages pour les dirigeants et les faiseurs de marchés. Pour les particuliers, ils imposent encore plus de travail préparatoire et de connaissance du modèle d’affaires des entreprises. Seule une parfaite compréhension du business model et des perspectives vous permettra d’éviter, lors de ces introductions en Bourse qui devraient séduire de plus en plus d’entreprises, de payer trop cher des actions dont les fondateurs eux-mêmes ne semblent plus vouloir !