[De la batterie à la boîte de pétri, la startup Eat Just entend faire du poulet, une viande éthique, écoresponsable et économique. En multipliant la productivité de l’industrie de la viande par 25, ce genre de startups peut rendre possible l’idée de fournir à chaque être humain la dose de viande quotidienne recommandée pour une alimentation équilibrée…]
La viande artificielle se développe et commence à se démocratiser. On en trouve désormais de plus en plus facilement, que ce soit dans les rayons de nos supermarchés ou à la carte de certains restaurants. Ces préparations culinaires offrent aux consommateurs la possibilité de déguster leurs recettes carnées préférées tout en remplaçant la viande par des substituts végétaux.
Cette alternative à la viande carnée, si elle séduit de plus en plus de consommateurs, reste tout de même anecdotique en termes de volumes. L’année dernière, par exemple, Beyond Meat, référence du secteur, a fait état d’un chiffre d’affaires représentant moins de 0,016 % du marché mondial de la viande…
La viande produite par Eat Just, a contrario, est faite de vraies cellules animales
Le fait est que les consommateurs ne semblent toujours pas prêts à abandonner la consommation de protéines animales. Prenant acte de cet amour immodéré pour la chair saignante, Eat Just, un des pionniers des substituts carnés – à ne pas confondre avec la société de livraison de repas Just Eat –, vient de mettre sur le marché une nouvelle gamme de produit : de la viande de poulet artificielle.
Exit la batterie, bonjour la boîte de pétri. Cette nouvelle viande repose sur la culture en bioréacteurs de cellules animales. Cette méthode, qui se veut éthique et écoresponsable, produit une viande qui répond en tous points aux habitudes des amateurs de volaille.
Après avoir mené une expertise poussée, l’Agence de l’alimentation de Singapour a donné le feu vert à la commercialisation de ce nouveau produit le 26 novembre dernier. La startup inaugure ainsi un nouveau marché qui pourrait peser rapidement des centaines de milliards de dollars par an.
Quand de la viande sort des éprouvettes
Beyond Meat et consorts ont dépoussiéré le concept de viande artificielle avec leurs « quasi-steaks ». Ils ont trouvé leur place dans la restauration rapide et, plus particulièrement, dans le très populaire hamburger. Ces produits sont composés de protéines végétales et d’agents de texture savamment assemblés pour leur conférer un goût et une texture en bouche proche de la viande animale, mais n’en contiennent aucune trace.
Leur capacité à rendre les élevages intensifs obsolètes reste de fait hypothétique : ces produits, si agréables qu’ils soient, n’ont pas la même saveur en bouche que leurs pendants saignants. Ne contenant pas de protéines animales, ils ne règlent pas non plus la question des apports nutritifs carnés qui sont difficiles à compenser avec des régimes végétariens.
La viande produite par Eat Just, a contrario, est faite de vraies cellules animales. Elle contient à ce titre les acides aminés qui manquent cruellement aux protéines végétales, des minéraux, mais aussi des graisses mono-insaturées qui sont recommandées pour une alimentation équilibrée. Elle a vocation à se retrouver, dans un premier temps, dans les préparations transformées comme les nuggets et autres spécialités panées pour la restauration rapide.
Les nuggets Eat Just sont difficiles à différencier de leurs équivalents traditionnels.
Et pour cause : ils sont composés de protéines animales. Crédit : Eat Just
Cette viande est similaire à la viande animale au niveau du goût, de la texture, comme des apports nutritionnels. En revanche, elle possède une différence de taille : poussant en bioréacteurs, elle règle les questions éthiques, écologiques et énergétiques de l’élevage intensif d’animaux.
La viande artificielle pour sauver la planète – et l’industrie
Au-delà des questions éthiques de la consommation de viande, le coût économique et environnemental des élevages d’animaux destinés à la consommation est considérable.
Selon l’ONU, la production de viande émet à elle seule 14,5 % des gaz à effets de serre produits par l’humanité, soit près du triple de l’ensemble de l’industrie manufacturière. Selon un rapport de la Fondation Heinrich-Böll, la production annuelle de volaille dépassera cette année les 124 millions de tonnes, pour une croissance évaluée à 25 % par décennie… et cette tendance n’a aucune raison de s’inverser avec l’enrichissement des classes moyennes dans les pays émergents.
La viande de synthèse permet une économie de 96 % en termes de consommation d’eau et d’émissions de gaz à effet de serre
Actuellement, la FAO estime que 70 % des terres à usage agricole sont directement, ou indirectement, consacrées à l’élevage. Cette superficie représente 30 % des terres émergées non recouvertes de glace – autant dire que les marges de progression côté offre sont des plus limitées.
Avec les techniques d’élevage actuelles, les 4 milliards d’êtres humains les plus pauvres ne pourront, quelle que soit l’évolution de leur niveau de vie, jamais consommer autant de viande que les 3 milliards les plus riches. Il n’y a tout simplement pas assez de ressources sur Terre pour alimenter une telle croissance de l’offre.
La viande artificielle vient faire sauter ce goulet d’étranglement.
Selon Uma Valeti, co-fondateur de Memphis Meat, la viande de synthèse permet une économie de 96 % en termes de consommation d’eau et d’émissions de gaz à effet de serre, et de 99 % en terme d’utilisation de terres agricoles.
En multipliant la productivité de l’industrie de la viande d’un facteur 25, ces startups promettent à l’humanité entière de pouvoir consommer des protéines animales à sa guise. En sortant du cycle traditionnel élevage/abattage/conditionnement, il serait pour la première fois possible de fournir à chaque être humain la dose de viande quotidienne recommandée pour une alimentation équilibrée – tout en diminuant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et en libérant des surfaces agricoles.
Les ventes annuelles du secteur de la production carnée dépassent les 2 000 milliards de dollars, et les acteurs traditionnels sont empêtrées dans les limites de leur modèle. Les start-ups qui parviendront à commercialiser de la viande artificielle a coût maîtrisé ont un boulevard économique et écologique devant elles.
Dans cette course qui s’annonce de longue haleine mais potentiellement ultra-lucrative, Eat Just vient de prendre une belle longueur d’avance.