Dernière évolution de l’e-commerce, à mi-chemin entre Amazon et Uber, le quick commerce cherche à se faire une place dans notre quotidien. Commandez, et vous serez livré en moins de 15 minutes. Une belle promesse promise à un avenir radieux et un marché potentiel ultra-profond. Il n’en a pas fallu plus pour aiguiser l’appétit des investisseurs. Mais, depuis quelque temps, les vents contraires s’accumulent dans le secteur. La digitalisation massive de nos achats n’est pas encore pour tout de suite…
Fils spirituel de la place de marché Amazon et de la livraison à domicile façon Uber, le quick commerce (commerce rapide) comptait bien s’imposer rapidement dans notre quotidien.
Le marché potentiel du quick commerce correspond à l’ensemble de la population urbaine
Après l’achat de livres, d’électroménager, puis de repas en ligne, faire ses courses quotidiennes en ligne aurait dû naturellement basculer à son tour vers la sphère virtuelle.
Techniquement, tout était prêt. L’écrasante majorité des citoyens possède une connexion internet à domicile, au travail et même dans la poche grâce à son smartphone. L’acte d’achat en ligne s’est banalisé. Grâce à la livraison de repas, les grandes villes regorgent de livreurs capables d’assurer, en moins de 30 minutes, une livraison point à point.
Mieux encore, si acheter un livre, un ordinateur, ou s’offrir un restaurant, restent pour la plupart des consommateurs des actes ponctuels, les produits de première nécessité sont utilisés au quotidien – et par l’ensemble de la population. Le marché potentiel du quick commerce est donc, virtuellement, l’ensemble de la population urbaine : 53 millions de personnes en France, 550 millions en Europe et plus de 4 milliards sur l’ensemble de la planète.
Mais, depuis quelque temps, les vents contraires s’accumulent. Presque tous les acteurs sont au bord du gouffre financier. Après avoir allègrement brûlé l’argent des investisseurs, ils risquent de se retrouver à court de liquidités. La France pourrait même donner le coup de grâce à ce secteur naissant avec une nouvelle régulation qui va rendre plus difficile l’inauguration de nouveaux locaux et menacer les implantations existantes.
Un modèle idéal… sur papier
Le quick commerce a rapidement aiguisé l’appétit des investisseurs. Petites et grandes structures ont réussi à valoriser auprès des banques et des actionnaires leurs modèles d’affaires en faisant miroiter une croissance insolente et une profondeur de marché inédite dans l’histoire de la vente de détail.
Pour maximiser la rentabilité de l’activité, les acteurs du quick commerce ont parié sur un modèle semi-centralisé dans lequel des points de dépôt situés dans les zones les plus densément peuplées stockent les marchandises les plus populaires. Après une commande en ligne sur ordinateur ou smartphone, les clients peuvent retirer leurs colis sur place selon le mode du click and collect popularisé durant le COVID-19, ou se faire livrer par coursier.
Le quick commerce a rapidement aiguisé l’appétit des investisseurs
Ce modèle permet d’optimiser les coûts logistiques et de ne pas faire des lieux de stockage des établissements recevant du public. Ainsi, la masse salariale est réduite aux activités logistiques (pas d’encaissement, d’accompagnement des clients, de gestion des vols et des accidents), et les contraintes règlementaires sont allégées.
La France vient toutefois de condamner ce modèle idéal. Une nouvelle régulation annoncée début septembre prévoit que les « dark stores », ces locaux commerciaux utilisés pour le stockage, la préparation et le retrait des commandes, devront désormais être considérés comme des entrepôts logistiques et non des boutiques. Cette requalification impose des procédures administratives plus lourdes et une autorisation d’ouverture au cas par cas.
Olivia Grégoire, la ministre déléguée au Commerce, a déclaré lors d’un point presse qu’elle souhaitait permettre aux collectivités locales de réguler l’activité « en fonction de leurs souhaits ». Il ne s’agit pas d’un euphémisme. En requalifiant l’activité, le gouvernement permet aux villes d’interdire à l’envi l’ouverture ou l’exploitation de dark stores. Les acteurs du quick commerce, potentiellement privés de leur centre névralgique, ne pourront purement et simplement plus offrir leurs services dans les villes concernées.
Paris et Lyon, à la pointe du combat contre le quick commerce, vont pouvoir interdire de fait cette activité sur leur territoire. Cette nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un secteur qui avait déjà le plus grand mal à garantir sa survie dans les prochains mois.
Au bord du gouffre des liquidités
L’abondance de liquidités de ces dernières années avait permis aux acteurs du quick commerce d’obtenir de confortables dotations en capital. En France, la startup Cajoo a levé plus de 47 M$, dont 40 M$ durant le COVID-19 lors un tour de table mené par Carrefour.
Les investisseurs ont été encore plus généreux à l’international. Getir, Gorillas, Zapp ont, eux aussi, réalisé des levées de fonds d’anthologie pour un secteur encore inexistant : 300 M$ pour le Britannique Zapp, 1,3 Md€ pour l’Allemand Gorillas, et même 1,8 Md$ pour Getir au fil de ses sept levées de fonds.
Mais, entretemps, le vent a tourné…
Ces entreprises ont brûlé leur cash à toute vitesse et sont encore bien loin du point d’équilibre – sans même parler de rentabilité.
Au printemps, Getir a dû se séparer de 14 % de ses effectifs, soit 500 employés. Gorillas lui a emboîté le pas fin mai en annonçant se séparer de près de 300 personnes. Mi-août, Zapp prévoyait à son tour de réduire sa masse salariale d’une dizaine de pourcents, soit 200 à 300 personnes.
Il faut dire que l’activité de quick commerce est structurellement déficitaire. Selon une étude de YipitData, plus de 80 % des commandes passées au printemps chez Getir en France étaient le fait de clients alléchés par des réductions – un très mauvais présage en ce qui concerne le consentement à payer. Et ce n’est pas la chasse aux coûts qui va augmenter la désirabilité du service… Les offres de livraison en moins de 15 minutes, qui étaient la base de la promesse de valeur, ont purement et simplement disparu même au cœur des grandes villes.
Presque tous les acteurs sont au bord du gouffre financier
N’ayant jamais pu trouver de modèle rentable, ce sont maintenant les trajectoires de croissance des startups qui doivent être revues. L’Américain Gopuff, qui avait pour ambition de devenir le Uber du quick commerce avec ses 3,4 Mds$ levés et ses 4 000 employés, devait selon Reuters faire son introduction en Bourse en début d’année.
La startup, qui opère actuellement sous le giron de SoftBank, aurait pu rejoindre la Bourse en se basant sur la valorisation confortable de 15 Mds€ qui avait prévalu lors de son dernier tour de table. Et, avec Goldman Sachs et JP Morgan à la manœuvre, nul doute que les bonnes fées se seraient penchées sur le berceau de l’entreprise nouvellement cotée pour lui assurer des débuts en fanfare.
Las, l’été est passé et le dossier reste au point mort – signe que les grandes banques ne croient plus que le quick commerce sera en mesure de séduire de nouveaux investisseurs. Entre des coûts de fonctionnement qui explosent du fait de l’inflation, des clients peu enclins à payer le service au prix fort, et désormais un législateur qui souhaite tuer dans l’œuf ce secteur naissant, le quick commerce a de nombreux défis à relever.
La digitalisation massive de nos achats du quotidien n’est certainement pas pour tout de suite…