Il était considéré comme le Warren Buffett de l’investissement dans les nouvelles technologies. Après avoir survécu au krach des dot.com, Masayoshi Son a acquis une réputation de précurseur capable de flairer les bonnes affaires.
Yahoo Japan, Alibaba, ARM Holdings : certains de ses investissements au sein de SoftBank étaient de véritables coups de maître. En 2011, sa fortune personnelle était estimée par Forbes à 8,3 Mds$ – avant de dépasser les 22 Mds$ il y a deux ans de cela.
Pour continuer à miser sur sa bonne étoile, qui l’avait si bien servi dans les années 2000, Masayoshi Son a créé en 2016 le Vision Fund, un fonds d’investissement doté de 100 Mds$ destiné à prendre des participations dans les pépites technologiques de demain. D’autres Vision Funds devaient lui succéder à mesure que leurs budgets auraient été investis, permettant à Son et SoftBank de devenir les faiseurs de rois de la Tech internationale.
Disposant de moyens illimités à l’échelle des startups, le milliardaire aurait dû être capable de faire émerger des champions dans n’importe quel secteur et ainsi offrir à ses investisseurs de copieux retours sur… sur investissement justement.
La réalité a été quelque peu différente… Les ambitions affichées n’ont jamais été atteintes, et la dégringolade de Masayoshi Son nous offre trois leçons qui peuvent être utiles aux investisseurs particuliers que nous sommes.
La débâcle de SoftBank a le mérite de nous offrir des leçons importantes pour nos investissements
Crédit : SoftBank
Leçon n°1 : ne pas prendre les plus-values latentes pour des gains
Le Vision Fund 2, qui devait voir le jour en 2019, n’a jamais réussi à lever ses 100 Mds$. Après avoir tenté de faire participer ses salariés pour boucler le premier tour de table, SoftBank a jeté l’éponge en début d’année.
Les investisseurs ont boudé le nouveau fonds car ils étaient échaudés par les piètres performances du premier Vision Fund et ses prises de participations hasardeuses (notamment dans WeWork).
Durant des années, Masayoshi Son se targuait d’avoir des performances annuelles à deux chiffres. Mais voilà, ces performances étaient théoriques puisqu’il s’agissait de réévaluations du prix des actions détenues.Cette pratique du mark to market, déjà contestable avec des actions cotées (car un gain non réalisé reste théorique et les marchés peuvent toujours se retourner à la baisse), était encore plus malhonnête dans le cas d’actions non-cotées.
Il est facile de déterminer, avec des critères d’évaluations « faits maison », que ses actifs ont pris de la valeur… C’est une autre paire de manches lorsqu’il s’agit de les vendre au prix rêvé. Parfois, comme ce fut le cas avec WeWork, des actifs plein de promesses ne valent en réalité rien.
Tant qu’une plus-value n’a pas été réalisée, elle est virtuelle – et c’est aussi vrai en Bourse.
Leçon n°2 : certains investissements valent tout simplement zéro
Les investisseurs ont commencé à être nerveux l’année dernière lorsque SoftBank a fait état de ses premières pertes trimestrielles depuis quatorze ans.
Les investisseurs ont commencé à être nerveux l’année dernière lorsque SoftBank a fait état de ses premières
Avec une perte de -5,82 Mds€ (contre -0,4 Md€ attendu), ils pouvaient cependant rester optimistes et espérer que SoftBank ait exagéré ses dépréciations sur le troisième trimestre pour reprendre rapidement le chemin de la profitabilité.
Tel un sparadrap que l’on arracherait d’un coup, regrouper les mauvaises nouvelles pour repartir sur des bases saines est une pratique courante… Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé…
De nouvelles dépréciations ont dû être passées sur la fin de l’année, notamment au niveau des participations dans Uber et WeWork. Des pertes complémentaires ont été enregistrées sur les produits dérivés, conduisant à une année 2019 dans le rouge pour SoftBank – avec son pire résultat depuis quarante ans.
Pour éponger ses pertes et dégager les liquidités dont elle a tant besoin, SoftBank a vendu fin juin sa participation dans T-Mobile à hauteur de 20 Mds$ et envisage de vendre ou de réintroduire en Bourse ARM Holdings pour un montant supérieur à 40 Mds$.
La vente des joyaux de sa couronne couvrira la perte de -18 Mds$ essuyée par le Vision Fund et servira à racheter des actions SoftBank pour soutenir leur cours.
Alors que la 5G est disponible chez T-Mobile depuis le début d’année,
SoftBank doit céder ses parts dans l’urgence
Crédit : T-Mobile
Résultat des courses : SoftBank aura cédé ses actifs les plus rentables et conservera ceux dont la vente est virtuellement impossible en portefeuille. Tous les trous d’air ne sont pas temporaires, et certaines chutes ont vocation à se poursuivre.
Leçon n°3 : le marché a toujours raison
Avec ses poches profondes, Masayoshi Son espérait faire la pluie et le beau temps sur la tech. Il lui arrivait fréquemment d’investir dans plusieurs entreprises concurrentes pour voir laquelle était la plus à même de croître de façon exponentielle.
Le problème, c’est que le Vision Fund est devenu LE marché
Sa stratégie revendiquée était de posséder tout le marché et faire émerger les futurs leaders.
En soi, diversifier ses prises de positions est une bonne précaution. C’est la base de l’investissement indiciel qui est connu pour offrir d’excellentes performances – souvent même meilleures que le stock picking.
SoftBank a cependant pêché par orgueil. En prenant des participations agressives dans des sociétés grâce à ses proches profondes, le Vision Fund est devenu LE marché. Aucun acheteur ne se trouvant en face de lui lors des transactions, Masayoshi Son s’est retrouvé à payer des sommes totalement déconnectées des fondamentaux des startups dans lesquelles il investissait.
C’est lorsqu’il a cherché à valoriser concrètement ses participations que la différence entre la valeur imaginée (qu’il mettait dans ses comptes) et la valeur réelle (le prix que le marché était prêt à payer) s’est matérialisée.
Même si nous n’avons, à titre individuel, pas le risque de faire décaler les cours lorsque nous investissons sur des actions cotées liquides, nous ne sommes pas à l’abri de nous croire plus intelligents que le marché. Si un milliardaire doté de fonds quasi-illimités a pu se tromper autant lorsqu’il a évalué la valeur intrinsèque de WeWork et Uber, nous ne sommes pas à l’abri de commettre la même erreur.
En ces temps d’extrême volatilité, les chutes brutales d’actions peuvent être totalement injustifiées et M. le Marché peut avoir tort de céder certains titres à bas prix… mais peut-être les opérateurs voient-ils aussi quelque chose que nous ignorons. Pour des investissements rentables, l’humilité reste primordiale.
Ces trois erreurs commises par SoftBank lui ont déjà coûté fort cher. Au vu de la qualité de l’entreprise, nul doute que la direction saura bientôt corriger le tir et retrouver le chemin d’investissements plus raisonnables. Espérons que ces quelques milliards perdus soient une leçon coûteuse mais efficace – et à nous de nous en inspirer pour éviter les mêmes écueils dans nos investissements technologiques !
Le marché pour sa part accueille très bien ces décisions qui pourraient hypothéquer l’avenir du groupe. Le cours de l’action Softbank (JPN : 9984) est à son plus haut niveau depuis cinq ans.