Accueil Energies et transports Les fausses promesses de l’hydrogène bleu

Les fausses promesses de l’hydrogène bleu

par Etienne Henri
investir hydrogène

L’hydrogène est sans nul doute notre meilleure piste pour sortir de notre addiction au pétrole et au gaz. Ainsi, la filière connaît une accélération sans précédent. Mais, en attendant le Saint Graal de la transition énergétique, l’hydrogène vert 100 % zéro carbone, quelques lobbies aimeraient voir naître un écosystème de l’hydrogène bleu, produit à grands renforts de séquestration carbonique et d’énergies fossiles. Une solution pourtant vouée à l’échec…

Quelques lobbies aimeraient voir naître un écosystème de l’hydrogène bleu

La crise énergétique que nous traversons – et qui va s’intensifier cet hiver – nous incite à faire feu de tout bois pour diversifier et rendre plus robustes nos approvisionnements. Ainsi, dans un numéro d’équilibriste d’ampleur historique, les énergéticiens doivent s’appuyer sur la disponibilité des énergies fossiles tout en anticipant leur épuisement. Temps long et temps court se télescopent. Il faut parer au plus pressé. Et les vieilles énergies polluantes, comme le charbon, reviennent sur le devant de la scène. De leur côté, les énergies renouvelables progressent à pas de géant.

L’hydrogène-énergie, par exemple, connaît une accélération sans précédent. Il y a peu, nous vous relations d’ailleurs l’ouverture de la première ligne ferroviaire 100 % hydrogène en Allemagne. De notre côté, en France, il circulait à la fin de l’été une trentaine de bus à hydrogène, et le parc devrait passer à près de 900 véhicules à la fin de la décennie. D’où viendra l’hydrogène pour alimenter ces trains et ces bus ? Comment répondre à la demande lorsque voitures et avions se convertiront à leur tour à cette motorisation propre ?

Pour rappel, l’hydrogène est un vecteur d’énergie – et non une source –, il faut le produire. Lorsque nous aurons terminé notre transition énergétique, panneaux solaires et éoliennes serviront à produire un hydrogène décarboné et renouvelable. Dans l’intervalle, l’hydrogène reste majoritairement produit à partir de gaz naturel.

Cet hydrogène d’origine fossile peut être « neutre en carbone » s’il est fabriqué avec des procédés modernes qui captent le CO2 émis lors de sa production. Il est alors appelé hydrogène bleu. S’il est produit à partir de gaz naturel sans séquestration carbone, on parle d’hydrogène gris. L’hydrogène vert, le Graal de la transition énergétique, étant obtenu à partir d’énergies 100 % renouvelables.

Les promesses de l’hydrogène séduisent jusqu’aux plus hautes sphères puisque le très médiatisé Inflation Reduction Act de Joe Biden, voté en fanfare cet été, consacre 369 Mds$ à la transition énergétique, et sacralise l’utilisation de l’hydrogène quelle que soit sa provenance. Pourtant, en termes physiques et économiques, l’hydrogène bleu est un contre-sens total. Il surfe sur la crise énergétique aiguë et le greenwashing pour légitimer un usage prolongé et moins efficace des énergies fossiles. L’inverse de ce que nous devrions faire pour maximiser l’énergie dont nous disposerons sur le long terme.

Le déplorable bilan de l’hydrogène bleu

La méthode privilégiée pour obtenir de l’hydrogène est de transformer du gaz naturel (méthane) en hydrogène par reformage. Maîtrisée depuis plus d’un siècle, elle a pour inconvénient d’émettre beaucoup de CO2 : de l’ordre de 10 tonnes de CO2 par tonne d’hydrogène produit.

Le reformage du méthane avait un sens lorsqu’il était effectué par l’industrie chimique pour produire ammoniac, méthanol ou acide chlorhydrique. L’hydrogène était alors une matière première comme une autre de l’industrie chimique, qui justifiait de dépenser de l’énergie pour la produire.

Mais, lorsqu’il s’agit d’utiliser de l’hydrogène comme énergie, il n’y a plus aucun intérêt à transformer le méthane en hydrogène. Cela revient à augmenter les difficultés logistiques (l’hydrogène est plus compliqué à stocker et transporter que le méthane), énergétiques (la combustion du carbone du méthane génère de l’énergie dont il est dommage de se priver) et écologiques (le reformage du méthane génère du CO2).

unité de reformage de méthane

Une unité de reformage de méthane. Déjà de l’industrie lourde, sans même compter la gestion du CO2 émis (photo : Air Liquide)

Pour certains industriels, le salut de l’hydrogène bleu viendra des techniques modernes de captage du carbone. En interceptant le CO2 émis par le reformage avant qu’il ne rejoigne l’atmosphère, il est en théorie possible de produire de l’hydrogène à partir de gaz naturel sans augmenter les émissions de gaz à effet de serre.

Cette voie ne pourra toutefois fonctionner qu’à fonds perdus. Parce qu’elle est en opposition totale avec les impératifs de sobriété et d’efficacité énergétique, elle représente une opportunité économique négative.

Pourquoi l’hydrogène-carburant doit être vert

Le mythe de l’hydrogène bleu est porté par l’idée selon laquelle certains progrès technologiques permettent de s’affranchir des contraintes physiques.

Or, les lois de la thermodynamique sont formelles : il ne sera jamais énergétiquement intéressant de séparer du méthane en hydrogène pour le brûler par la suite. Dans son utilisation comme énergie, l’hydrogène est utilisé pour sa capacité à créer une flamme ou un courant électrique. Il permet alors d’obtenir de la chaleur pour chauffer industries et bureaux, faire tourner des moteurs à explosion, ou alimenter des moteurs électriques… ce que le méthane permet déjà de faire.

Utiliser du méthane pour obtenir de l’hydrogène est l’équivalent d’utiliser du pain pour faire de la farine, ou de casser une maison pour avoir des gravats. Il s’agit d’une opération qui ne peut avoir lieu qu’à perte en termes énergétiques.

L’hydrogène bleu est un non-sens total

Cette contrainte physique fondamentale se traduit aussi en termes économiques. Quelques lobbies aimeraient voir naître un écosystème de l’hydrogène bleu, qui associerait énergies fossiles et capture de carbone pour en faire une opération « climatiquement neutre ».

C’est oublier que Homo Economicus déteste les investissements à fonds perdus. Quel que soit le prix du gaz naturel – et la situation actuelle nous montre que le méthane est une énergie ni gratuite, ni illimitée –, il sera toujours plus cher de le transformer en hydrogène que de l’utiliser en l’état.

Et, même si nous disposions du jour au lendemain d’une demande en hydrogène-énergie très supérieure à l’offre, nous n’aurions aucun intérêt économique à capter du CO2 à échelle industrielle.

Le plus probable est que nous ferions alors avec le méthane ce que nous faisons aujourd’hui avec le charbon : nous l’utiliserions comme bon nous semble, sans nous préoccuper des externalités. En période de pénurie énergétique aiguë, le climat passe au second plan et les émissions de CO2 deviennent acceptables au nom du maintien du niveau de vie.

Tant que le captage de carbone ne possèdera pas de business model propre avec valorisation du CO2 comme ressource à échelle industrielle, il s’agira d’une activité à fonds perdus qui ne pourra se faire que par gaspillage de l’argent d’actionnaires crédules ou de contribuables impuissants.

Bleu, vert, gris ? dans quel hydrogène investir ?

Il n’existe aucun scénario dans lequel l’utilisation d’hydrogène bleu présente un quelconque intérêt énergétique ou économique. Alors qu’il fait de plus en plus parler de lui dans le private equity, faites preuve de la plus grande méfiance lorsque vous verrez des startups vanter leur solution pour obtenir de l’hydrogène-carburant « neutre en carbone » à base d’énergies fossiles.

En promettant d’offrir, avant même que nous ne disposions d’assez d’électricité verte, de l’hydrogène décarboné, elles oublient de parler du bilan global négatif de leur activité.

Vous pouvez investir dans les grands noms de l’hydrogène gris à usage industriel

L’hydrogène-carburant est, sans nul doute, notre meilleure piste pour sortir de notre addiction au pétrole et au gaz. Mais son essor n’a de sens qu’avec des capacités de production d’énergie renouvelable adaptées.

En attendant, vous pouvez investir dans les grands noms de l’hydrogène gris à usage industriel. Ces acteurs de la première heure connaissent bien leur métier, et sont de plus en plus nombreux à augmenter leurs capacités de production à base d’électricité renouvelable. Comme les géants pétroliers qui utilisent la manne des hydrocarbures pour financer la construction de centrales photovoltaïques ou de parcs éoliens, ils se préoccupent avant tout de la pérennité de leur activité – ce qui les oblige à prendre des décisions d’investissement pragmatiques.

A contrario, ne cherchez pas à suivre les « grands plans » comme celui de Joe Biden. Leurs contours sont plus guidés par les questions politiques que les réalités économiques et énergétiques…

Articles similaires

5 commentaires

CATUSSE 8 septembre 2022 - 17 h 15 min

Merci de votre information sur la production d’hydrogène, il y a des détails que je ne connaissais pas.

Reply
YM 10 septembre 2022 - 13 h 35 min

Cet article me laisse perplexe. Dans la production d’hydrogène classique, un premier ‘intérêt réside dans le fait que le procédé de production aboutit en sortie d’usine à un flux d’hydrogène et à un flux de CO2 quasi pur. Ce dernier est donc déjà séparé: pas d’étape de séparation coûteuse. Le deuxième intérêt est que la production d’hydrogène se fait ainsi de façon centralisée en grandes quantités; en particulier l’étape de collecte du CO2 est donc également supprimée. La production est optimale lorsque l’on implante ces unités en bord de mer près de gisements de gaz ou de pétrole déjà « vidés » et que le gaz naturel peut être amené par bateau sous forme de GNL. Le coût de l’hydrogène bleu qui peut ainsi être produit en grande quantité n’est que marginalement supérieur à celui de l’hydrogène gris. L’objectif de ne pas émettre de CO2 à l’atmosphère dans la production d’hydrogène peut donc être atteint à un coût marginal limité.
Quant à l’hydrogène vert, ce dernier ne peut être compétitif que si l’on dispose d’électricité à coût marginal de production très faible. Ceci est certainement possible pour de faibles quantités, mais c’est une autre histoire pour les grosses quantités envisagées dans le cadre des divers plans Hydrogène

Reply
NEUVILLE 10 septembre 2022 - 15 h 41 min

Ce commentaire est inacceptable et scandaleux par son coté sectaire sur une technologie qui est aujourd’hui très dépassée et en laissant croire qu’il n’y aurait rien d’autre pour produire de l’hydrogène vert. C’est sur qu’il n’y a pas d’avenir pour cette filière d’hydrogène « bleu » à partir du reforming du méthane. Mais c ‘est bien autre chose avec celle qui se présente désormais avec la combinaison des technologies d’électrolyse très nettement améliorées, avec encore d’importantes réserve d’amélioration avec la combinaison du photo-catalytique, ou bien qui peuvent utiliser les surplus des énergies renouvelables éoliens, ou encore avec le photovoltaïque dont on peut améliorer fortement l’efficacité et en réduisant de près d’un facteur trois les coûts de production d’électricité ( en pouvant atteindre des coûts de production ~0.01 €/KWh) en associant plusieurs nouveaux éléments dûment validés à savoir, l’importance de l’anti-réflexion des panneaux solaire, ( contrairement à ce qui a pu être dit dans certains milieux du CNRS et à l’ADEME, qui n’avaient pas été en mesure de faire des calculs plus corrects en tenant compte de divers aspects qu’il conviendrait de ne pas oublier de prendre en compte et qui n’avaient pas cherché à le mettre en évidence expérimentalement comme cela avait cependant déjà été fait en France même il y a 40 ans avec des technologies très simples). Il conviendrait que certains milieux industriels et financiers puissent mieux s’informer sur les progrès technicoscientifiques plus récents, pour lesquels on peut très bien calculer et prévoir les coûts de leur mise en oeuvre et de leur exploitation en sachant pourquoi et comment dans la pratique on peut maintenant faire beaucoup mieux.
C’est là où il faudrait investir et non pas sur la foi de vielles rumeurs et de certaines statistiques archaïques et un peu trop limitées. et le recours à du savoir à la fois trop cloisonnés et plutôt archaïque. Sachant que l’on pourrait parfaitement y parvenir à très court terme également en France en prenant en compte les réalités et pas seulement les élucubrations de la bourse.

court terme en pouvant faire beaucoup mieux .

Reply
Jean-Louis 15 septembre 2022 - 16 h 50 min

Bonjour,
l’hydrogène bleu doit venir de l’électrolyse de l’eau, laquelle ne produit aucun CO2
L’énergie électrique sera fournie par le solaire ou l’éolien, voire le nucléaire.
Donc exit le méthane n’en déplaise aux chimistes….
Cordialement Jean-Louis

Reply
garzon 26 septembre 2022 - 15 h 26 min

J’avoue ne pas bien comprendre votre article.
Après avoir expliqué les bilans négatifs des hydrogènes produits aujourd’hui, vous recommandez l’investissement dans l’hydrogène gris à usage industriel….
Quelle est la logique svp?

Reply

Laissez un commentaire