C’est un mois de janvier d’anthologie que vient de signer la tech française.
Avec 596,99 M€ levés, nos startups ont battu à plate couture leur record de 2018 qui s’établissait à 358 M€ et ont quasiment doublé leur performance par rapport à l’année dernière (311 M€ en janvier 2019).
En ce début d’année, les investisseurs reprennent goût pour les jeunes pousses et sont prêts à sortir le chéquier pour faire leurs emplettes. Les actions s’échangent toujours plus cher et les tours de table se multiplient… avant de se finir en beauté par des rachats purs et simples par des acteurs historiques.
Le secteur de la fintech nous en a donné une parfaite illustration avec la prise de contrôle de Linxo par le Crédit Agricole.
Le pari de la gestion centralisée de votre argent
La jeune pousse développe une application mobile d’agrégation de comptes. Derrière cette terminologie barbare se cache un concept tout simple : Linxo a pour objectif d’être votre point d’entrée central (et, si possible, unique) dans la gestion quotidienne de vos services bancaires.
« Une appli pour les gouverner tous » : Linxo fait le pari de la gestion centralisée de votre argent. Crédit : Linxo
S’appuyant sur la directive DSP2, qui oblige les établissements bancaires à mettre en place des API (interfaces de programmation pour applications) ouvrant l’accès aux données des clients aux applications tierces, Linxo a développé une application mobile permettant de suivre sur un tableau de bord unique tous les comptes bancaires, de programmer des virements inter-établissements, de payer ses factures… en bref, d’effectuer avec une interface unique la majorité de ses opérations bancaires, et ce où que soient domiciliés les comptes.
Linxo a été téléchargée près de trois millions de fois et revendique 350 000 utilisateurs quotidiens.
L’utilisateur peut avoir un ou plusieurs comptes bancaires, changer d’établissement en cours de route, rien ne change : Linxo reste l’interface unique pour la gestion de son budget.
Cette virtualisation de l’offre bancaire a séduit les foules : l’application a été téléchargée près de trois millions de fois et revendique 350 000 utilisateurs quotidiens.
Jusqu’ici, le service était développé en nom propre sous le nom Linxo et en marque blanche pour certains établissements bancaires comme le Crédit Agricole. Le mois dernier, ce dernier a décidé de s’accaparer la technologie en prenant le contrôle de 85 % du capital de la startup, avec une option portant sur la totalité des parts.
Les banques font main basse sur l’innovation
Qu’est-ce qu’une incapacité à innover en interne lorsqu’on a les poches profondes ? Les banques, à l’instar des entreprises pharmaceutiques, n’hésitent plus à sous-traiter la création de leurs futurs services au monde de la startup.
La méthode est bien rodée :
- laisser les jeunes pousses se casser les dents sur des offres de service potentiellement risquées en termes de faisabilité technique comme d’appétence de la clientèle ;
- acheter des participations minoritaires chez les acteurs qui se démarquent en termes de nombre d’utilisateurs ;
- prendre finalement le contrôle des survivants lorsque les plâtres ont été essuyés.
C’est exactement la stratégie qu’a appliquée le Crédit Agricole avec Linxo.
En 2017, la startup faisait un tour de table de 20 M€ et accueillait à son capital le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel Arkéa et la MAIF. Son capital, un temps éclaté, va désormais se consolider : selon la presse spécialisée, le Crédit Agricole Banque reprendrait d’ores et déjà les titres de Crédit Mutuel Arkéa.
S’il cède ses parts, ce dernier ne se retire pas pour autant de la course à l’agrégation bancaire puisqu’il a pris le contrôle, en juin 2019, d’un autre agrégateur français (Budget Insight). La France ne manque pas de startups à racheter !
Un sage enthousiasme
Selon Maddyness, qui relate des informations de Mind Fintech, le rachat de Linxo aurait été fait sur une base de valorisation de 20 M€.
Si la somme peut sembler élevée pour une application mobile, et l’est sans aucun doute en termes de coût par client (sur la base des 350 000 utilisateurs quotidiens, la banque a déboursé plus de 57 € par tête), elle reste raisonnable lorsqu’elle est comparée au prix payé lors du tour de table précédent.
En 2017, lors de l’arrivée des trois grands noms de la banque à son capital, Linxo avait été valorisée 38 Mds€. Ceux qui se sont délestés de leurs titres ce mois-ci ont par conséquent enregistré une perte de près de 50 % en deux ans… Difficile, dans ce contexte, de considérer que la fintech est en pleine bulle. Les rachats se multiplient, oui, mais ils nous indiquent simplement que les banques manquent d’idées de services innovants et d’équipes pour les mener à bien en interne, et ont encore les poches profondes.
Le temps où les actions de fintech n’avaient pas de prix semble toucher à sa fin.
Le temps où les actions de fintech n’avaient pas de prix semble toucher à sa fin. Chaque banque historique se doit d’avoir son agrégateur pour tenter de prendre le contrôle des comptes détenus chez la concurrence, mais ne semble pas disposée pour autant à payer un prix faramineux pour l’acquérir.
Les grands établissements semblent réaliser que disposer d’un agrégateur de comptes pour la clientèle connectée relève aujourd’hui du service minimum et non de la rupture technologique. Lorsque chaque enseigne disposera du sien, les clients seront de moins en moins sensible à l’établissement dans lequel leurs fonds sont déposés. Nous verrons alors un équilibre s’installer entre banques comme nous le voyons dans la téléphonie mobile et la fourniture d’accès à Internet, où la portabilité des numéros et la similarité des offres ont rendu les clients plus mobiles que jamais, sans pour autant faire émerger de leader incontestable.
Les services développés par les fintechs ne changent peut-être pas la face du monde bancaire, mais ils contribuent bel et bien à sa modernisation progressive.