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[Fintech] Qonto tourne le dos à l’argent des investisseurs institutionnels

par Etienne Henri
Fintech Qonto crowdfunding

Et de six ! On ne l’arrête plus… Le Français Qonto prépare un nouveau tour de table. La routine à quelques nuances près. Cette fois-ci, la fintech a décidé de tourner le dos aux poches pourtant très profondes des investisseurs institutionnels pour s’adresser directement à ses clients. Aux particuliers. Un choix très étrange compte tenu du montant attendu. A peine 1 M€… On est très très loin des 486 M€ de son dernier tour de table. La startup est-elle tombée sur la tête ? Non, c’est même une belle leçon de business…

Après sa cinquième levée de fonds (486 M€), tout juste bouclée au mois de janvier, voilà que la fintech française Qonto, spécialisée dans les services bancaires à destination des autoentrepreneurs et des PME, repart en quête de financement… On ne l’arrête plus.

Pour son prochain tour de table, Qonto a décidé de changer les règles du jeu

Il faut dire que les fintechs font partie des startups les plus recherchées sur le non-coté. Alors pourquoi se priver ? Elles ont levé plus de 2,3 Mds€ l’an passé, auprès des investisseurs institutionnels.

Mais, pour son prochain tour de table, Qonto a décidé de changer un peu les règles du jeu. Après une levée de série D qui avait permis de valoriser la startup à plus de 4 Mds€, la direction a opté pour une opération à taille plus humaine. Loin des grosses mains et de leurs poches profondes, la fintech a en effet décidé d’ouvrir son capital aux investisseurs particuliers.

En optant pour le crowdequity (financement participatif), Qonto fait un nouveau pari : se tourner vers les particuliers. Quelles sont alors les modalités de cette opération ? Pourquoi la fintech fait-elle le choix de trancher ainsi avec les habitudes du secteur ? Est-ce un énième piège pour les investisseurs particuliers désireux de se prendre pour Warren Buffett ? C’est ce que nous allons voir aujourd’hui.

Le grand retour du crowdfunding

Le concept était tombé en désuétude ces dernières années. En France, le crowdequity, qui a connu ses heures de gloire dans les années 2010, n’a jamais vraiment pris. Après une phase d’euphorie qui a vu les plateformes pousser comme des champignons, et l’adoubement des autorités qui ont multiplié les incitations pour favoriser l’investissement de particuliers, le soufflé est retombé.

Pourtant, le crowdequity est, sur le papier, le digne représentant d’un capitalisme populaire et proche de l’économie réelle. Des centaines, voire des milliers, de particuliers mettent des fonds dans un « pot commun » qui prend la forme d’une société créée sur mesure pour rassembler ces liquidités. Ce véhicule d’investissement ad-hoc devient ensuite actionnaire de la startup qui lève des fonds, et possède ainsi une partie du capital de la cible.

Le crowdequity ne prend pas en France, voilà pourquoi cette levée de fonds détonne

Dans ce modèle vertueux, tout le monde est gagnant. Le capital de la startup est morcelé en fonction des capacités d’investissement de chacun, les mises de départ étant généralement fixées à 1 000 € – parfois même 100 € ou 10 €. Les intérêts des actionnaires sont assurés par le véhicule d’investissement, qui est généralement représenté par la plateforme qui a organisé la levée. Et, pour finir, la startup n’a pas à gérer au quotidien des milliers d’investisseurs lors des assemblées générales.

Malgré ces avantages, le crowdequity n’a jamais vraiment décollé dans l’Hexagone. C’est ce qui explique que la levée de Qonto, pure fintech, détonne. En proposant des participations à partir de 138 € par action, la startup joue résolument le jeu du financement par la foule en ouvrant son capital à toutes les bourses, modestes comme prospères.

Plus étonnant encore, elle met en pause, à l’occasion de cette levée, sa stratégie de croissance exponentielle des montants levés. Avec 1,6 M€ levés en 2017, 20 M€ en 2018, 104 M€ en 2020 et 486 M€ en début d’année, Qonto nous avait habitués à voir toujours plus grand. Et, donc, de manière très étonnante, dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, Qonto espère lever au moins 1 M€. C’est moins que le tour d’amorçage conclu à sa naissance ! Même la valorisation n’a pas été gonflée. Elle sera la même que lors de la méga-levée de janvier.

A quel jeu joue Qonto ?

Avec un trésor de guerre historiquement élevé pour une startup française, Qonto n’a certainement pas besoin du montant anecdotique qui sera levé par cette opération de financement participatif.

En gelant la valorisation, on ne peut même pas accuser la startup de faire monter les enchères en créant de la rareté en ouvrant une microscopique fraction du capital à des investisseurs particuliers qui étaient jusqu’ici sur la touche. Il s’agit bien, au contraire, de les faire entrer aux mêmes conditions que les grosses mains qui s’étaient positionnées sur le dossier fin 2021.

Quel est l’intérêt de cette stratégie ?

Or, une levée de fonds prend du temps et de l’argent, et l’arrivée de nouveaux investisseurs, même regroupés dans une société de holding, vient complexifier la répartition du capital. Quel est, dans ce contexte, l’intérêt de cette stratégie ?

La raison se trouve probablement dans le niveau de développement atteint par Qonto. La startup peut aujourd’hui se targuer d’avoir convaincu plus de 200 000 clients. Elle peut ainsi s’appuyer sur un nombre conséquent d’autoentrepreneurs, de professions libérales et de gérants de PME qui font sont socle de clientèle.

Pourtant, il y a fort à parier que la direction voit plus loin. Comme l’indiquait son P-DG Alexandre Prot, à l’occasion de la dernière levée : « Les fonds investissent dans l’avenir, pas dans le passé. Notre histoire nous montre ce qui est possible dans le futur, mais ce qui nous importe désormais, c’est d’aller de l’avant. Nous n’avons désormais plus d’autre choix que de développer notre équipe et de consolider notre position de leader en Europe. »

L’entreprise doit donc à la fois sécuriser sa base de clientèle (toute érosion des abonnements serait vue du plus mauvais œil par les investisseurs) et se faire connaître d’un public toujours plus large.

Preuve que la diffusion du service est au cœur des préoccupations, la fintech a lancé une campagne TV diffusée en Allemagne, en Espagne, en Italie et en France. Illustrant le quotidien d’une jeune créatrice d’entreprise perdant son énergie dans les tâches annexes, elle résume parfaitement le positionnement des services en ligne de Qonto.

clip qonto

Prenant pour cible les jeunes entrepreneurs, la campagne publicitaire télévisée de Qonto doit faire connaître l’entreprise au plus grand nombre (capture d’écran : clip Qonto)

La levée de fonds qui se profile devrait principalement aider la startup à fidéliser sa base de clientèle. Elle aura en effet pour particularité d’être réservée aux clients de l’entreprise dont le compte était activé depuis plus de deux mois. Ce garde-fou devrait permettre de limiter les souscriptions faites par des clients fantômes. Ceux qui se seraient inscrits simplement pour avoir accès au capital.

Quel meilleur outil de fidélisation clients de services financiers que la souscription de parts ?

Or, quel meilleur outil de fidélisation des clients de services financiers que la souscription de parts ? Les banques traditionnelles l’ont bien compris, un client qui possède une partie du capital – même infime – devient plus que fidèle. Il se transforme en véritable ambassadeur. Il ne voit plus ses frais mensuels comme une dépense mais a l’impression de se payer lui-même et de participer à la bonne marche d’une entreprise qui lui appartient.

En ce sens, la stratégie de Qonto est parfaitement exécutée. L’entreprise offre à ses futurs actionnaires des conditions alignées sur celles offertes aux grosses mains en début d’année, ce qui est excessivement rare… et ces nouveaux venus peuvent même espérer, à moyen terme, dégager une plus-value significative en cas de rachat ou d’IPO. En échange, elle sécurise son socle de clientèle et recrute autant d’ambassadeurs.

Une fois n’est pas coutume, le recours à l’épargne des particuliers se fait dans un cadre gagnant-gagnant.

[NDA : les clients éligibles ont normalement reçu un lien de pré-inscription de la part de Qonto. La phase de pré-inscription est ouverte jusqu’au 19 avril. La levée ne sera pas ouverte au grand public.]

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