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Hydrogène bleu ou vert : le match passionne

par Etienne Henri
Hydrogène carburant de synthèse

Retour sur un sujet qui a fait débat parmi nos lecteurs : l’hydrogène bleu. A-t-il vraiment une utilité en matière de transition énergétique ? Certaines entreprises le pensent. S’il reste un gaz dont l’utilisation s’avère compliquée, le transformer en carburant de synthèse serait, pour elles, une solution toute trouvée. Et, à cet égard, les projets se multiplient… Pourtant, une fois encore, c’est un non-sens économique total !

Mon dernier article sur l’hydrogène bleu n’a pas manqué de vous faire réagir !

Mon dernier article sur l’hydrogène bleu n’a pas manqué de vous faire réagir ! J’en suis le premier ravi. Merci aux lecteurs qui ont pris la plume pour partager leurs commentaires et autres points de vue sur le site Opportunités Technos. Sachez que, s’il n’est pas possible de répondre personnellement à chaque message, tous sont lus et appréciés.

YM, que je salue au passage, a fait une remarque pertinente qui mérite clarification : « Dans la production d’hydrogène classique, un premier intérêt réside dans le fait que le procédé de production aboutit en sortie d’usine à un flux d’hydrogène et à un flux de CO2 quasi pur. Ce dernier est donc déjà séparé : pas d’étape de séparation coûteuse (…) Le coût de l’hydrogène bleu qui peut ainsi être produit en grande quantité n’est que marginalement supérieur à celui de l’hydrogène gris. » 

Ce faisant, notre lecteur perspicace met le doigt sur une problématique macro-économique importante de la transition énergétique.

Peut-on s’offrir le zéro carbone ? 

Les entreprises qui basent leur stratégie sur l’hydrogène bleu, lequel consiste rappelons-le à produire le gaz propre à partir de méthane tout en captant le CO2 émis, s’attachent à prouver que le coût de cette solution reste limité par rapport au prix de l’hydrogène gris, produit de la même façon mais sans l’étape de séquestration du CO2.

La rentabilité de la production d’hydrogène propre est, bien sûr, le nerf de la guerre.

L’augmentation du coût au kilogramme de l’hydrogène bleu par rapport à l’hydrogène gris est encore à déterminer. Il dépendra du type de technologie choisie, de la distance du site de production à la zone d’enfouissement, de la disponibilité des zones de stockage, des volumes totaux… Sans entrer dans une bataille de chiffres autour de cette « taxe verte », son existence-même pose question car, dans le cadre de la transition énergétique, l’hydrogène n’est plus considéré comme une matière première aux propriétés uniques mais comme source d’énergie.

L’hydrogène bleu est en concurrence frontale avec l’hydrogène gris

La différence est primordiale. L’hydrogène utilisé comme matière première industrielle peut avoir son propre prix. Après tout, nickel, argent et bois ont des prix qui évoluent de manière différente au cours du temps. Plus les énergies sont substituables les unes aux autres, en revanche, plus leurs prix sont corrélés. Voyez par exemple ce qui se passe depuis un an avec le prix de l’électricité et du gaz : dans les pays où le kWh marginal d’électricité est produit par des centrales à gaz, le coût des deux énergies tend à se synchroniser.

L’hydrogène bleu viendra ainsi en concurrence frontale avec l’hydrogène gris sur le marché de l’énergie, et il sera nécessairement plus cher.

Dans un contexte de raréfaction de l’énergie, les acteurs économiques seront-ils prêts à dépenser de l’argent en pure perte dans le seul but de limiter les émissions de CO? Jusqu’ici, les faits ont prouvé que les sociétés sont prêtes à prendre le virage de la transition énergétique, si compliquée et coûteuse qu’elle soit, pour assurer leur approvisionnement à long terme en énergie. En revanche, la transition écologique, qui imposerait de brider notre niveau de vie avec, comme indicateur de réussite, la baisse des émissions de CO2, n’a jusqu’ici jamais séduit les foules.

La vitesse avec laquelle nous sommes revenus au « monde d’avant » une fois la phase aigüe de la pandémie de COVID-19 terminée nous prouve que brider la croissance au nom de la baisse des émissions de CO2 n’est pas dans notre ADN. Plus récemment, la France a renié ses objectifs de mise à l’arrêt des centrales électriques à charbon, très émettrices de gaz à effet de serre, pour garantir son approvisionnement en électricité.

Même l’Allemagne a mis de côté sa phobie du nucléaire – pourtant jugé plus dangereux que le réchauffement climatique dans l’imaginaire collectif outre-Rhin – pour éviter les coupures d’électricité cette année.

Ainsi, miser sur l’hydrogène bleu, quel que soit le montant des coûts induits, c’est miser sur le fait que nos sociétés accepteront de perdre du pouvoir d’achat pour limiter les émissions de CO2. Seront-elles capables d’une telle abnégation dans le futur ? Peut-être. Mais leur comportement suite aux plus récents événements montre que tel n’est pas le mode de fonctionnement que nous suivons actuellement. Sinon, nous aurions préféré manquer d’électricité que de relancer nos centrales à charbon.

Voulons-nous vraiment de l’hydrogène-énergie ? 

Un autre obstacle majeur à une généralisation de l’hydrogène-énergie bleu est qu’il reste un gaz dont l’utilisation reste compliquée.

Pour le stockage, le transport, et même l’utilisation pour sa capacité calorifique, il est à bien des égards moins performant que le méthane. Si les industriels croient de plus en plus à l’hydrogène-énergie, c’est parce qu’il devrait bientôt être possible de le produire « gratuitement » lors des pics de production d’électricité renouvelable.

De nombreuses startups s’attellent aujourd’hui à la production de masse de carburants de synthèse à partir d’hydrogène

Mais, en soi, l’hydrogène est un vecteur d’énergie dont l’utilisation soulève de nombreux problèmes.

De fait, de nombreuses startups s’attellent aujourd’hui à la production de masse de carburants de synthèse à partir d’hydrogène. Leur idée est simple : plutôt que de revoir nos équipements pour s’adapter aux particularités de l’hydrogène, mieux vaut transformer le gaz en carburants de synthèse – quitte à perdre au passage une partie non négligeable de l’énergie disponible.

C’est ainsi que nous voyons fleurir les projets qui visent à transformer l’hydrogène en carburant liquide. La Commission européenne laisse d’ailleurs la porte ouverte à cette alternative pour alimenter nos automobiles : si les véhicules thermiques neufs ne pourront plus être vendus à partir de 2035, les textes prévoient de faire une exception pour ceux roulant aux carburants de synthèse.

De même, l’aviation croit beaucoup au Jet Fuel et à l’Avgas (utilisés respectivement dans les réacteurs et les moteurs à piston) de synthèse. L’année passée, la Royal Air Force a annoncé avoir réalisé un vol totalement alimenté avec de l’Avgas de synthèse. Le Zero Petroleum UL91, qui a servi à propulser un ULM Ikarus C42, avait été fabriqué avec de l’hydrogène vert et du carbone extrait du CO2 atmosphérique.

carburant synthétique vs hydrogène

A tout prendre, l’industrie de l’aviation préfère le carburant synthétique à l’hydrogène
(photo : Zero Petroleum)

Le Parlement européen a d’ailleurs décidé, mi-septembre, de limiter le développement des agrocarburants à leur niveau de 2020. Dans ce contexte, les « biocarburants », amenés à jouer un rôle croissant dans l’alimentation des véhicules thermiques, ne pourront être que des carburants de synthèse et non issus de l’agriculture.

L’utilisation de l’hydrogène pour produire des hydrocarbures de synthèse ne se limite d’ailleurs pas aux carburants liquides. La startup Teréga, par exemple, travaille à l’utilisation d’hydrogène pour produire… du méthane de synthèse, soit l’équivalent du gaz naturel.

Si son procédé reste encore expérimental, ses arguments sont solides : le problème du méthane n’est pas dans ses caractéristiques, qui sont fort intéressantes, mais dans les émissions de CO2 suite à sa combustion lorsqu’il est issu de sources non-renouvelables. Ainsi, le méthane de synthèse offrirait le meilleur des deux mondes : le maintien de nos équipements actuels et un cycle zéro carbone. 

Bien sûr, tout ceci ne fonctionne que si l’hydrogène qui permet de le produire était vert. En tout état de cause, si les acteurs économiques sont prêts à payer de l’argent et perdre du rendement pour transformer l’hydrogène vert en méthane, ils ne seront pas prêts à payer pour transformer le méthane en hydrogène vert.

L’une des formes est, par définition, plus désirable que l’autre – et les indices actuels tendent à prouver qu’il s’agit du méthane plus que l’hydrogène.

L’hydrogène bleu n’est pas en mesure de devenir un marché de masse

Dans les prochaines années, l’évolution de nos infrastructures et de nos appareils déterminera s’il est possible d’utiliser l’hydrogène comme vecteur d’énergie ou s’il est plus intéressant d’en perdre une partie pour produire des carburants de synthèse. Une chose est sûre, casser des carburants fossiles pour produire de l’hydrogène qui servira à son tour à produire des carburants de synthèse est un non-sens économique et physique.

Voilà pourquoi l’hydrogène-bleu n’aura de sens que s’il permet de produire de l’hydrogène décarboné pour les besoins de l’industrie en l’absence d’hydrogène vert en quantité suffisante. Son usage comme énergie reste une impasse, et son usage comme matière première deviendra négligeable si nous migrons ne serait-ce que quelques pourcents de notre consommation d’énergie vers l’hydrogène-énergie produit à partir de sources renouvelables.

Voilà pourquoi bien il existe si peu de scénarios dans lesquels l’hydrogène bleu est en mesure de devenir un marché de masse.

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1 commentaire

NEUVILLE 1 octobre 2022 - 12 h 36 min

On ne peut pas discuter de la question de l’hydrogène vert ou bleu, et on ne peut que difficilement y investir sans se tromper, si on ne tient pas compte des avancées scientifiques et technologiques plus récentes des matériaux plus avancés concernés et que l’on a déjà commencés en partie à exploiter industriellement en Asie depuis plus de dix ans, et qui permettent d’envisager une production d’hydrogène vert nettement moins chère et compétitive et écologiquement beaucoup plus correcte. L’ennui c’est de devoir constater que certaines des élites technologiques et scientifiques qui conseillent en la matière le gouvernement, et qui servent de références aux milieux industriels et financiers, ne sont trop souvent pas même au courant de l’existence de ces avancées concrètes et décisives, en raison du grand cloisonnement des disciplines, d’une communication trop lente et trop inefficace et de la domination d’un certain dogmatisme technocratique trop conservateur, et pas seulement une résultante des moyens insuffisants ou mal affectés qui sont alloués à la recherche scientifique, aux marketing de terrain et à la R&D.
On ne peut ici que recommander de mieux décloisonner les disciplines concernées et de s’informer un peu plus en remettant mieux en cause nos anciennes certitudes , et lisant plus et mieux les publications plus récentes qui traitent des évolutions et des changements beaucoup plus rapides des connaissances et des progrès techniques et ne plus continuer à les croire immuables.
On peut remarquer ici que la grande majorité des start-ups crées (plus de neuf sur dix) vont à l’échec par suite des procédures habituelles beaucoup trop rigides et trop lentes , qui ne savent pas tenir compte des évolutions technologiques plus récentes quand ces dernières sont beaucoup plus rapides que les procédures de mise en oeuvre des start-ups ( même si quelques rares exemples échappent à cette description très pessimistes) . Et le plus souvent rien pour les adapter à la réalité plus évolutive et plus mouvante des marchés. et le plus souvent pas grand chose pour en être vraiment informé.

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