Notre pays est un terreau fertile pour les valeurs technologiques. Les levées de fonds volent de record en record. Les licornes deviennent de moins en moins rares. Mais, si les chiffres et autres résultats ont de quoi donner le sourire aux entrepreneurs, ils ont aussi comme un arrière-goût de « fin de cycle ». La période d’exubérance pourrait toucher à sa fin et le second semestre sera à surveiller de près…
2022 est déjà une année record pour les startups tricolores
Le cabinet EY a publié son traditionnel baromètre du capital-risque en France. Couvrant la période du 1er janvier au 30 juin 2022, il recense les levées de fonds des jeunes entreprises hexagonales. Malgré un contexte économique et financier chahuté, la French Tech a fait preuve d’une résilience remarquable. Elle poursuit la tendance entamée l’année passée, qui confirme que notre pays est un terreau fertile pour les valeurs technologiques.
Pour autant, des signes de plus en plus nombreux indiquent que la période d’exubérance qui a fait s’envoler les capitalisations des licornes pourrait toucher à sa fin. Déjà, certains dossiers voient leur valeur décimée pour revenir à des niveaux plus raisonnables. La chute est brutale pour les fonds spéculatifs – mais offre aux petites mains des opportunités qui étaient devenues rares.
Toujours plus d’argent pour nos entreprises
Sur les six premiers mois de l’année, les startups technologiques ont bouclé 362 opérations de levées de fonds pour un montant total de 8,4 Mds€, en hausse de +63 % en valeur par rapport au premier semestre 2021.
Ce montant d’ampleur historique fait largement oublier la petite contraction due à la pandémie, et représente une augmentation de +327 % en cinq ans.
Montants levés par les startups françaises sur le S1 (en vert) et le S2 (en bleu).
2022 est déjà une année record (source : EY)
Pas moins de sept nouvelles startups sont venues gonfler les rangs des licornes françaises (Ankorstore, EcoVadis, Exotec, NW Group, PayFit, Qonto et Spendesk) et le logiciel redevient le secteur n°1 avec une multiplication par 6 des montants levés par rapport au premier semestre 2021 (2,23 Mds€). Continuant sur sa lancée, et portée par les levées de Qonto, la Fintech s’offre une belle deuxième place à 2,02 Mds€.
Variation des investissements par secteur entre le S1 2021 et le S1 2022 (source : EY)
Si le Royaume-Uni reste très loin devant nous avec 18,39 Mds€ de fonds levés pour 863 opérations, la France a creusé l’écart avec l’Allemagne et confirme son rôle de locomotive européenne.
Après avoir pour la première fois dépassé notre voisin en termes de montants levés en 2020, l’année 2021 avait été moins reluisante.16,2 Mds€ levés en Allemagne contre 11,6 Mds€ en France. Sur les six premiers mois de 2022, l’écart s’inverse puisque l’Allemagne n’a rassemblé que 6,26 Mds€ pour ses entreprises, soit près de 25 % de moins que l’Hexagone.
Si ces résultats ont de quoi donner le sourire aux entrepreneurs, ils ont un petit goût de « fin de cycle ». Tout d’abord, le gros des levées avait été préparé en 2021, avant la hausse de taux, l’emballement de l’inflation et la crise énergétique qui déferle sur l’Europe.
Ensuite, comme le rapporte Franck Sebag, associé chez EY : « Si la French Tech a fait preuve de résilience ces derniers mois, tous les yeux se tournent aujourd’hui vers la prochaine étape qui reste la principale faiblesse de cet écosystème : les sorties. En parallèle, le marché boursier s’est complètement refermé au 1er semestre en Europe comme aux Etats-Unis, même si certaines SPAC européennes essaient de donner de nouvelles options aux sociétés françaises. »
Quelle nouvelle norme après l’euphorie ?
La question qui taraude les investisseurs est naturellement celle de la poursuite ou non de la tendance.
L’ère de l’argent gratuit étant bel et bien terminée, les investisseurs ne sont plus enclins à « payer pour voir », en finançant à taux quasi zéro des entreprises qui n’ont pas encore fait la preuve de leur rentabilité.
Avec une rémunération sans risque de l’argent se montant désormais à plusieurs pourcents par an, la question du retour sur investissement devient primordiale. Les startups en croissance étant souvent non rentables, les investisseurs vont être de plus en plus tentés de se reporter vers les alternatives rémunératrices qui sont de nouveau disponibles.
L’ère de l’argent gratuit est bel et bien terminée
A ces considérations de rendement s’ajoute la question de la valeur des entreprises. Le traditionnel flou artistique qui entoure les valorisations des entreprises de la tech en hypercroissance a permis aux valeurs non cotées de voir leurs prix s’envoler lors des précédents tours de table. Jusqu’à fin 2018, la France ne comptait que trois licornes. Un an plus tard, elles étaient huit. Elles sont maintenant une trentaine. Leur nombre augmente de façon exponentielle au rythme de 216 % par an.
Dans le même temps, le PIB français a crû d’un modeste… 5,4 %, soit un taux de croissance annuel de +1,8 %. S’il est indéniable que les valeurs technologiques ont vocation à capter une part croissante de la richesse produite dans notre pays, la surchauffe des années passées était sans commune mesure avec leur contribution économique actuelle – ou même projetée sur dix ans.
Quand les startups retrouvent leur juste prix
La mésaventure récente de Klarna illustre parfaitement le retour de balancier qui peut toucher les dossiers les plus « chauds » lorsqu’ils perdent de leur superbe. Le géant suédois du paiement fractionné, qui compte 150 millions d’utilisateurs, a bouclé un nouveau tour de table mi-juillet. L’entreprise a levé à cette occasion 800 M$, ce qui a de quoi faire rêver les investisseurs puisqu’il s’agit d’une enveloppe qui représente le double de la capitalisation boursière du groupe Elior… mais ce tour de table s’est fait dans des conditions dramatiques pour les actionnaires.
Lors de la précédente levée, bouclée il y a à peine un an, Klarna était valorisée plus de 45 Mds$. Cette été, la valorisation retenue a été de 6,7 Mds$, soit une baisse de -85 % en un an. Dans l’absolu, les chiffres actuels restent très confortables : la startup reste plus valorisée que Soitec, Rexel ou même Valeo. La question est plutôt de savoir comment une entreprise qui brûle plusieurs centaines de millions de dollars par trimestre a pu être valorisée plus de 45 Mds$, soit trois fois plus que le groupe Société Générale !
Cet été, sauver les meubles et conserver sa valorisation est considéré comme une belle performance
La bulle du non-coté de ces dernières années a été alimentée par les grosses mains qui souhaitaient prouver qu’elles surperformaient structurellement les marchés. La fuite en avant comptable qui consistait à augmenter la valeur faciale des participations passées par le simple fait d’avoir pris part à des tours de table toujours plus surévalués touche à sa fin.
Le « Grand Reset » subi par Klara en matière de valorisation devrait, naturellement, donner des idées aux investisseurs sur la deuxième partie de l’année. Qui refuserait, en effet, une ristourne de -85 % sur ses achats ?
Déjà, du côté des fintechs françaises, Swile s’est félicitée fin juillet d’avoir ouvert son capital au groupe BPCE sur une base de valorisation « stable » par rapport au tour de table précédent. Un vrai changement de paradigme pour la startup qui avait atteint le statut de licorne trois ans seulement après sa création et avait habitué les investisseurs à l’hypercroissance de sa valorisation. Cet été, sauver les meubles et conserver sa valorisation est considéré comme une belle performance.
Le second semestre pourrait donc être placé sous le signe du dégonflement de la bulle. Tant pis pour les grosses mains surendettées qui affichaient, depuis des années, des plus-values latentes de façade… et tant mieux pour les particuliers qui pourront de nouveau investir dans la tech à coût raisonnable.
1 commentaire
Dans quel secteur investir en bourse ? Cordialement