Le bitcoin a franchi de nouveau la barre des 10 000 $ ce week-end. Pourquoi la première des crytpomonnaies prend-elle jour après jour plus de valeur ? Difficile de répondre à cette question de manière technique. Tout comme pour l’or dans le fond, il y a mieux et moins cher. Pourtant, tout le monde en veut.
Rareté, confiance, liquidité : les trois piliers de la valeur refuge
Comme l’explique Nick Szabo, qui avait jeté les bases théoriques du Bitcoin dès 1998 avec le BitGold et dont certains se demandent s’il ne serait pas Satoshi Nakamoto lui-même :
« Qu’ont en commun les antiquités, le temps et l’or ? Ils coûtent cher, soit à cause de leur coût originel ou de l’improbabilité de leur histoire, et il est difficile de falsifier ce coût. […] Il y a des problèmes liés à l’implémentation de coûts impossibles à falsifier sur un ordinateur. Si ces problèmes peuvent être résolus, nous pouvons amener BitGold à son terme. »
« Les métaux précieux et les objets de collection ont une rareté impossible à falsifier à cause du coût de leur création. Cela permettait autrefois de donner de la valeur à la monnaie, et celle-ci était majoritairement indépendante du fait de faire confiance à un tiers. […] mais il est impossible de payer en ligne avec du métal. Cela serait donc génial s’il existait un protocole où des pépites impossibles à falsifier pourraient être créées en ligne, avec une dépendance minimale vis-à-vis de tiers, et qu’elles puissent être ensuite stockées, transférées et authentifiées, sans non plus devoir être vérifiées par un tiers. »
Quand une certaine rareté et la confiance sont là, on obtient un actif comme l’or. Dans le monde des matières premières, un des indicateurs clés est le « stock to flow » (StF). C’est la quantité détenue en inventaire par les différents acteurs divisée par la production totale annuelle.
Le stock to flow est proche voire inférieur à 1 quand il y a une utilité productive importante. Par exemple, le palladium est très utilisé par l’industrie automobile. Cette utilité « enlève » souvent à la matière première cette valeur de « refuge ». En effet, leur prix dès lors varie en fonction de la demande de la production.
L’or et l’argent ont un StF beaucoup plus élevé, car ils sont rares et offrent une bonne liquidité. C’est aussi une construction idéologique qui s’est faite dans le temps. « L’or aura toujours de la valeur ».
Si nous prenons le cas du Bitcoin, son StF oscille actuellement entre 25 et 28. Il est lié à la puissance de calcul requise pour miner une unité.
Le graphique ci-dessus montre que, bizarrement, le prix du bitcoin a une corrélation forte avec l’indicateur long terme du StF.
Mais, la grande différence entre l’or et le Bitcoin, c’est que le stock d’or continue d’augmenter doucement alors que celui de Bitcoin est programmatiquement fini ! La capacité maximale d’unités en circulation est de 21 millions. Il n’y en aura pas une de plus, sauf modification du programme. Et de manière régulière, il devient plus difficile de miner le bitcoin qui se fait de plus en plus rare. C’est ce qu’on voit sur le graphique ci-dessus quand le StF monte d’un coup. C’est une part importante du Bitcoin, dénommée « halving ». A des moments donnés à l’avance, il devient plus difficile de miner.
Un des principes de base du Bitcoin est que la création monétaire se fait en minant, c’est-à-dire en faisant tourner le réseau des échanges. Ceux qui assurent cette tâche sont rémunérés en bitcoins. La rémunération des mineurs baisse de moitié à chaque halving.
Le graphique ci-après est également très parlant. Il montre où nous nous situons dans l’environnement du Bitcoin. La courbe bleue montre le nombre de bitcoins en circulation, la jaune l’inflation sous-jacente du nombre de bitcoins. Moins il y a de création par le minage, moins il y a d’inflation et plus le StF augmente.
Le stock to flow : le meilleur indicateur du prix du bitcoin
Si nous rapportons ce modèle au cours du bitcoin, nous obtenons le graphique ci-dessous. On voit bien l’explosion du « minage » lors des pics de valorisation qui font diverger le StF de la valeur théorique que nous donne le modèle.
On voit surtout une belle coordination entre les fortes hausses et les halving. A chaque halving, la récompense offerte par bloc miné est divisée par deux. On augmente donc mécaniquement le StF.
Le prochain halving a lieu en mai 2020.
Il est certain qu’il existe une relation statistique importante entre le prix du bitcoin et le StF et inversement.
Qu’est-ce qui pourrait enrayer ce modèle ?
Le risque principal du Bitcoin est bel et bien la confiance. Si quelqu’un parvient à trouver une faille dans sa blockchain, elle s’évaporera. Mais c’est bien plus difficile d’en trouver une que sur les blockchains privées contrôlées par une entité unique ou presque.
L’autre point crucial, c’est que pour que le prix continue de monter et que donc le modèle se valide, il faut que la valeur totale augmente, ce qui nécessite une augmentation de l’afflux de capitaux allant vers le Bitcoin. Mais beaucoup de choses poussent actuellement à un fly to scarcity (déplacement des capitaux vers la rareté) :
- taux bas voire négatifs ;
- inflation basse ;
- soucis monétaires chez les émergents.
Au final, peu de personnes possèdent aujourd’hui des bitcoins, ce qui laisse une belle marge de progression si un nouvel engouement devait voir le jour.
23 millions d’entités possédant du bitcoin, c’est un peu moins de 0,3 % de la population mondiale. Le pourcentage de personnes détenant de l’or est plutôt de 3 %, soit 10 fois le taux actuel.
D’autre part, l’or tout comme l’argent ont un coût de stockage important qui rend leur transport complexe. Le Bitcoin a l’avantage de pouvoir être envoyé par Internet, par onde radio, etc. et de ne pas prendre de place. Il est rare mais bien plus transférable que l’or et l’argent. Quelle est la valeur de cette facilité de transaction ?
Selon le modèle du StF, la valeur cible post halving de mai 2020 est de 55 Je ne pense pas qu’on atteindra cette valorisation. Il faudrait un afflux fort de capital. En revanche, la barre des 20 000 $ me semble parfaitement réaliste.