Warren Buffett a tort de railler l’investissement dans les métaux… Ces trois dernières années, l’or physique a plus rapporté aux investisseurs que les actions françaises. Fait édifiant mais véridique qui ne devrait pas aller en s’arrangeant. Entre inflation, pénuries multiples et demande explosive, les tensions sur les cours des métaux devraient jouer les prolongations. Un contexte qui promet d’être compliqué, et dans lequel le rôle de la tech est ambivalent…
+43 % pour l’or en trois ans… +80 % pour le palladium… +71 % depuis le début de la pandémie pour l’argent… +104 % pour le cuivre sur la même période… la hausse du prix des métaux donne le tournis.
Warren Buffett a tort de moquer l’investissement dans les métaux, qu’il juge improductif. Sur 36 mois, l’or dormant dans un coffre a plus rapporté aux investisseurs que les actions françaises. Tandis qu’il s’est apprécié de +38,5 %, le CAC 40 GR (dividendes réinvestis) doit se contenter de 29,8 % – une sous-performance de 8,7 % en trois ans pour les actions.
Malgré un rebond post-COVID-19 historique, les actions ne font toujours pas mieux que l’or sur 3 ans (infographie : investing.com)
S’il est le plus célèbre, le métal jaune n’est pas le seul à connaître une telle hausse. Tous les métaux industriels sont portés par des fondamentaux solides. Et ce depuis plusieurs années.
D’une part, en tant que ressources minières, et par définition, les quantités disponibles dans le sol sont décroissantes. Tout minerai extrait du sous-sol ne s’y trouve plus, et chaque tonne sera toujours plus compliquée à extraire que la précédente. Deux siècles après les débuts de la révolution industrielle, les gisements faciles d’accès ont été largement exploités… Les producteurs doivent désormais aller chercher des ressources toujours plus diluées et toujours moins accessibles.
La hausse des prix des métaux ne fait que commencer
A l’instar du pétrole, qui sortait littéralement du sol au XIXe siècle – et qu’il faut aujourd’hui aller chercher au fond des océans –, extraire, purifier et transporter les métaux jusqu’aux clients finaux est désormais une affaire complexe qui met en jeu des métiers et des entreprises très différents. Augmenter du jour au lendemain la production est impossible.
Dans le même temps, portée par une dynamique économique qui ne faiblit pas, la demande ne fait qu’augmenter. Même la pandémie de coronavirus n’aura eu qu’un effet temporaire. Selon la Banque mondiale, après une année 2020 en suspens, la croissance globale se reprend.
A cette hausse structurelle de la demande vient désormais s’ajouter une inflation généralisée qui va mécaniquement gonfler le prix des métaux exprimés en valeur nominale. Autant dire que la hausse des prix ne fait que commencer… Et, dans cette pénurie généralisée qui s’annonce, le rôle de la tech est loin d’être négligeable.
Quand la tech vide les stocks planétaires
Dans un contexte de disponibilité décroissante et de coûts en augmentation, la tech n’a pas nécessairement le beau rôle. Le recours massif à l’automatisation, l’intégration toujours plus fréquente de l’électronique pour rendre les objets intelligents, l’utilisation du cloud et bientôt du métavers viennent ajouter à la demande et participent à la foire d’empoigne entre acheteurs.
Les infrastructures numériques sollicitent ainsi la quasi-totalité de la filière minière
Les centres de données, piliers de l’Internet moderne, sont incroyablement gourmands en métaux. Véritables hangars bourrés de serveurs informatiques, ils contiennent une concentration inégalée de composants électroniques.
Chaque serveur nécessite ainsi des métaux ferreux et non ferreux (cuivre, aluminium, étain), des terres rares (tantale, europium), des métaux précieux (or, palladium) voire d’autre composés comme le cobalt ou le lithium.
Les infrastructures numériques sollicitent ainsi la quasi-totalité de la filière minière, poussant chaque segment de marché dans ses retranchements. Désormais, les grands opérateurs (Google, Amazon, Facebook, Apple) privilégient les centres de données hyperscale, dont le nombre est en croissance ininterrompue.
Nombre de centres de données hyperscale dans le monde (infographie : Statista)
L’informatisation croissante de nos vies n’est pas le seul secteur des nouvelles technologies à participer à la pénurie de métaux. La transition énergétique, pourtant parée de toutes les vertus dans le discours public, fait peser une grave menace sur les équilibres mondiaux du secteur minier.
Une transition énergétique bien gourmande
Remplacer l’utilisation d’énergies fossiles par des sources renouvelables est nécessaire pour continuer à offrir à nos sociétés l’énergie dont elles ont besoin. Mais cette bascule des sources primaires n’a qu’un lien ténu avec l’écologie. Contrairement à une confusion souvent présente chez les hommes politiques et dans les médias grand public.
A court terme, la transition énergétique va même augmenter la demande en métaux dont l’extraction est énergivore, dangereuse et localement polluante.
Le cuivre, peu médiatisé du fait de sa relative abondance, sera le premier concerné. Il en faut entre 950 kg et 5 tonnes pour construire une éolienne. Dans le cadre du Plan France 2030, Philippe Varin a remis au gouvernement un rapport sur « la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales ». Ses conclusions sont sans appel : dans dix ans, la demande de cuivre va être multipliée par deux.
Il en sera de même pour le nickel, dont la consommation va tripler, et pour le lithium, qui verra la demande augmenter au moins d’un facteur quatre. Pour l’ancien président de Peugeot-Citroën, les métaux pourraient être « le facteur limitant de la transition énergétique ».
C’est bien la transition énergétique qui a bouleversé les équilibres de la filière
La Commission européenne parvenait aux mêmes conclusions dans une étude récente dédiée au cobalt. Entre 2000 et 2016, la demande mondiale a déjà triplé jusqu’à atteindre 98 000 tonnes par an. Elle est aujourd’hui consommée à 49 % par les batteries, et à 18 % pour réaliser des alliages utilisés notamment dans les turbines. Les utilisations industrielles historiques sont devenues négligeables : 3 % pour fabriquer des aimants, 4 % pour les pneumatiques, 6 % pour la production de céramiques et de pigments… c’est bien la transition énergétique, pourtant à ses balbutiements, qui a bouleversé les équilibres de la filière.
Or, dans l’état actuel des choses, la production mondiale ne dispose que de peu de marges. La RDC, premier producteur mondial, ne pourra augmenter ses extractions que de 19 % entre 2020 et 2030. Le Canada pourra certes tabler sur une hausse de +42 %, mais sa capacité minière ne représentera au mieux qu’un dixième de la production de la RDC. Seule l’Australie semble à même d’augmenter significativement ses capacités : aujourd’hui acteur négligeable, elle assurerait à la fin de la décennie à peine 28 % des volumes de la RDC.
Entre des capacités de production atones et une demande en pleine explosion, les tensions sur les cours des métaux devraient se prolonger durablement. Jusqu’ici, la tech avait le triste mérite d’aggraver la pénurie. Nous verrons demain qu’elle pourrait bientôt retrouver un rôle plus positif en permettant l’arrivée de plus de métaux sur les marchés.