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Peut-on gagner de l’argent avec ses données personnelles ?

par Vanessa Popineau
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A l’ère du big data, les données sont devenues le pétrole du XXIe siècle, le nouveau nerf de la guerre… En effet, à l’heure du tout numérique, les datas ont un pouvoir économique indéniable. Et chacun d’entre nous en est, à notre niveau, producteur. A ce titre, est-il possible, pour nous, d’en tirer une quelconque rémunération ?

La surveillance généralisée n’est plus une dystopie

Sur Internet, on le sait, le moindre clic laisse une trace. Big Brother is watching you. Us. Nous. Enfin, ça, c’est la version de Georges Orwel, celle de 1984. Mais, nous, en ce qui nous concerne, nous sommes en 2019 et si le parallèle est bien réel, une différence s’est glissée entre les deux images.

Voir sans être vu où voir et être vu ? Telle est notre nouveau dilemme shakespearien.

D’une certaine manière, nous sommes tous « surveillés ». Numériquement. Une surveillance qui s’est de surcroît instaurée avec un appui de taille… le nôtre. Oui, oui. En outre, depuis mai dernier, avec la mise en place du RGPD en Europe, cette complicité, auparavant tacite, s’est muée en un consentement « libre, spécifique, éclairé et univoque ».

Mais, en fin de compte, cela ne change pas tellement la donne. Aujourd’hui encore, chaque jour, sur les réseaux sociaux, bon nombre d’individus font librement étalage sinon de leur vie du moins de leurs goûts personnels. Et, parallèlement, nous sommes devenus de vrais petits apprentis stalkers (espions, en français), épiant bien tranquillement nos voisins depuis la formidable fenêtre sans tain que nous offrent nos écrans. Voir sans être vu ou voir et être vu ? Telle est notre nouveau dilemme shakespearien.

Finalement peu importe – comme pour tout – tout est affaire de préférence… et, sur Internet il y en a pour tous les goûts. Chacun peut y trouver son compte. Le tout dans une sorte de joyeuse insouciance générale. Et c’est précisément là où le bât blesse…

Jacques a dit… je sais qui tu es…

Je vous propose un petit jeu. Appelons-le « je sais qui tu es ». Le plateau de notre jeu ? Facebook – le réseau-roi et ses 2,3 milliards d’utilisateurs actifs mensuels… J’ai pris au hasard deux profils parmi mes contacts les plus actifs, mais j’ai aussi pris soin d’écarter les personnes que je connais le mieux. Des connaissances plutôt que des proches donc. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, et sans être sociologue ou marketeuse de haute volée, j’ai pu constater ce que tout le monde sait déjà : sur les réseaux sociaux, il est très facile de dresser des profils – voilà pourquoi les fuites ne se colmatent jamais…

Sur les réseaux sociaux, il est très facile de dresser des profils…

Alors, certes, ils sont taillés à la serpe, mais il n’empêche, ils n’en sont pas moins très instructifs. Prenons par exemple cette ancienne camarade rencontrée lors d’un stage. Même si je garde de bons souvenirs de cette personne, je ne l’ai pas revue depuis une bonne dizaine d’années. Appelons-la Bérengère*. Que dire de Bérengère ? Eh bien une multitude de petites choses, finalement. Bérengère adore les auteurs nord-américains, les femmes de préférence, c’est son petit côté féministe revendiqué. Elle court 8 kilomètres tous les samedis matins, après avoir avalé un jus « vert » aux vertus détoxifiantes – à l’extracteur pour garder un maximum de vitamines et de minéraux. Bérengère est également une farouche militante du « manger bio » en circuit court et, par-dessus tout, aime « faire tourner l’économie circulaire » (zero waste power).

Passons maintenant à Pierre*. Pierre a la petite trentaine. Nous ne nous connaissons pas mais nous avons un certain nombre d’amis en commun (23). Ce qui est logique puisque nous avons fréquenté le même collège. A part cela, je ne connais pas Pierre. Vraiment pas. Juste de vue. Donc, a priori, je ne devrais pas savoir grand-chose sur lui. Pourtant, j’en sais plus qu’il n’en faut : il est père d’une petite fille, divorcé et travaille dans la fonction publique, à Paris. Apparemment, il est sujet aux insomnies mais n’a vraisemblablement pas testé Dreem. Donc, pour tromper l’ennui de ses nuits trop courtes, il a pris l’habitude de suivre les grands championnats américains de basket tout en jouant à Candy Crush Saga sur son téléphone. Ah, j’oubliais, il vient d’adopter un chaton, Drogon — ce qui m’indique au passage qu’il est amateur de Game of Thrones… et que j’aurais très bientôt son avis sur le final de l’ultime saison.

Cela ne vous impressionne pas plus que ça ? Vous en savez tout autant sur vos propres profils amis… Eh bien moi non plus. Je vous l’accorde, de nos jours, il n’est pas bien compliqué d’accéder aux informations d’une page dûment renseignée et qui nous est librement accessible. Il n’y a donc rien d’étonnant non plus à voir se multiplier ces derniers temps des comptes versant dans la voyance 2.0 de type « Je sais qui tu es » ou « Momo Challenge » sur Intagram, Facebook, WhatsApp et consorts.

cyberharcèlement

Le Momo Challenge, forme de cyberharcèlement qui a tant terrifié les ados sur WhatsApp cet été.
Un interlocuteur anonyme menaçait de dévoiler les informations personnelles des « joueurs » participants s’ils ne réalisaient pas ses dangereux défis.

La donnée : une matière première abondante sans réelle valeur marchande

Très peu d’entre nous savent ce que valent vraiment les informations que nous semons à droite et à gauche sur Internet. Malheureusement, au risque de décevoir certains d’entre vous, nos données personnelles ne valent pas grand-chose. Pourtant, il est vrai, qu’ils soient généralistes ou spécialisés, les médias nous claironnent bien volontiers le contraire. Nos datas ont de la valeur. Certains vont même jusqu’à les considérer comme l’or noir du XXIe siècle…

Nos données personnelles ne valent pas plus qu’un café.

Malgré tout, inutile de chercher un moyen d’en faire commerce à votre échelle, il est fort peu possible que vous puissiez, un jour, monétiser vos données personnelles au prix fort. Dans ce domaine, nous n’avons pas la main. Et, quand bien même cela aurait été possible, une telle activité ne vous rapporterait qu’un revenu dérisoire – à l’image de ce que peuvent offrir les sondages rémunérés sur Internet… pas plus qu’un café donc.

En fait, c’est tout simple, une donnée isolée n’a strictement aucun intérêt. En même temps, on ne fait pas de bon café avec un seul et unique grain. Même pour une usurpation d’identité en bonne et due forme, un « fullz » (ensemble de données privées prêt à l’emploi pour se glisser dans une nouvelle identité) vaut moins de 100 $ sur le dark web, même avec l’option compte bancaire siphonnable.

En revanche, à l’heure où tout devient numérique, les données, du fait de leur abondance, ont malgré tout un puissant pouvoir économique. Toutefois, les forages ont d’ores et déjà été réalisés, l’exploitation des puits tourne à plein régime et les rois du pétrole se partagent déjà le gâteau… sans nous en laisser une miette…

Les vrais rois du pétrole du XXIe siècle

Aussi vrai que la data n’a aucune valeur sans marché, elle n’a également pas vraiment d’intérêt à l’état brut.

En effet, cette matière première, de prime abord bon marché (pour ne pas dire gratuite), est actuellement entre les mains de grands collecteurs de données que nous connaissons bien : les GAFA (merci les cookies, les likes et compagnie). Et ils s’en servent allégrement. Par exemple, dans sa Politique d’utilisation des données, Facebook explique utiliser les informations à sa disposition, entre autres, « pour sélectionner et pour personnaliser les publicités, les offres et les autres contenus sponsorisés que nous vous montrons ». Et c’est précisément ce qui en fait, avec Google, l’un des leaders incontestés du marché de la publicité digitale.

Aussi vrai que la data n’a aucune valeur sans marché, elle n’a également pas vraiment d’intérêt à l’état brut. Et c’est là que les GAFA tirent leur épingle du jeu : ils collectent les innombrables données laissées par leurs utilisateurs sur leurs plateformes respectives pour mieux les « panéliser » et ainsi les transformer en cibles marketing de premier plan. Et ça marche. En effet, dès lors parfaitement capables de proposer aux internautes des campagnes hyper-ciblées, selon leurs centres d’intérêts ou leurs besoins, les annonceurs se bousculent au portillon de ces géants du web pour passer commande. Et ils les rémunèrent grassement au passage. Conclusion : la data n’a de la valeur qu’une fois transformée en panel marketable – plus facile à « travailler ».

C’est principalement ce qui explique que nos datas sont des objets de convoitise. Et c’est également ce qui explique, qu’à notre échelle individuelle, nous n’avons pas la main pour les monétiser nous-même. Les vrais rois du pétrole (de la donnée) sont les GAFA et leurs multiples rejetons. Je pense particulièrement aux sites de e-commerce de type Vente-Privée ou aux plateformes audiovisuelles telles que Netflix. Je pense également aux objets connectés dont le nombre est en pleine explosion. En résumé toute entreprise capable de collecter massivement de la donnée mais également de l’analyser et de la traiter. De tailler comme il faut le diamant…

Cela dit, aussi évident qu’il est peu probable que vous vous enrichissiez avec vos données personnelles, il existe bien des moyens de profiter, d’un point de vue financier, de l’essor de la data. En effet, véritable pierre angulaire d’une société toujours plus connectée, elle aura notamment besoin, entre autres, de nouvelles solutions de stockage, de protection ou encore de traitement et autre intégration. Et, si cela vous intéresse, nous aurons bien entendu l’occasion d’y revenir…

*Les noms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnes.

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