Le bras de fer entre Didi Chuxing et les autorités chinoises touche à sa fin. Le week-end dernier, le Uber chinois a annoncé son intention de claquer la porte de Wall Street – du NYSE plus exactement. Réaction immédiate, le titre a plongé très bas. Pire, les investisseurs particuliers occidentaux vont prochainement se retrouver avec des titres sans valeur sur les bras. Cette spoliation pure et simple des petits porteurs jette un vrai froid sur les techs chinoises…
Après six mois de cotation mouvementée, la direction de Didi Chuxing, le Uber chinois, a annoncé durant le week-end de Pâques la convocation d’une assemblée générale extraordinaire pour voter, le 23 mai prochain, le retrait définitif de ses actions cotées au NYSE.
A la réouverture des Bourses, le titre s’est effondré de -18 %. Dans un dernier sauve-qui-peut, les quelques fidèles du dossier ont cédé leurs titres à qui voulaient bien les racheter. Mais, même bradées, les actions Didi ne trouvent pas preneurs. Il faut dire que cette annonce ressemble bien à une spoliation pure et simple des petits porteurs occidentaux…
Quand la glissade devient débâcle : les actions Didi ne trouvent plus preneurs
(Infographie : Investing.com)
Alors que la rumeur d’un retrait de la cote avait enflé durant toute la fin d’année 2021, la direction avait annoncé au mois de décembre avoir trouvé une solution gagnant-gagnant pour concilier les obligations de l’entreprise, les contraintes des régulateurs et les intérêts des actionnaires. Il était alors prévu de doubler le retrait du NYSE d’une IPO à Hong Kong afin d’offrir aux porteurs d’actions la possibilité d’échanger leurs titres sur une autre place internationale.
Les actions Didi ne trouvent plus preneurs
Cette option n’est plus sur la table, et l’assemblée générale s’exprimera – en mai – sur un retrait pur et simple de la Bourse de New York. Les actions Didi détenues par les porteurs occidentaux pourraient devenir, dès les prochaines semaines, des titres sans valeur. Cette décision jette un froid sur les actions technologiques chinoises, déjà malmenées depuis plusieurs mois.
Le péché originel de l’IPO jamais pardonné
Lors de son arrivée à la Bourse de New York, Didi pouvait se targuer d’être une entreprise aux fondamentaux solides. A l’instar d’Uber, l’application de mobilité a débuté son activité dans le transport de personnes avant de s’engouffrer sur d’autres marchés.
Et, tout comme son homologue américain, qui n’est plus une simple application de taxi, Didi est devenue une super-app combinant plusieurs fonctions de la vie quotidienne. Outre la mobilité à la demande, elle a progressivement enrichi son offre en ajoutant des services de location de chauffeurs, du transport de marchandises, des services de paiement et, bien sûr, la livraison de repas.
Pékin a semé le trouble en annonçant une enquête sur les pratiques de l’entreprise
Malgré plus de 90 % de parts de marché sur le transport de personnes en Chine, la société pouvait se féliciter de maintenir année après année une croissance à deux chiffres dans l’empire du Milieu. Et ce, sans compter ses relais de croissance en Asie du Sud-Est, en Amérique latine et en Afrique.
La direction avait donc toutes les cartes en main pour séduire les investisseurs internationaux. Son arrivée à la Bourse de New York en juin 2021 s’était d’ailleurs faite en fanfare : l’application a levé, lors de sa méga-IPO, pas moins de 4,4 Mds$ sur une base de valorisation supérieure à 80 Mds$.
Las, les nuages n’ont pas tardé à s’accumuler. Quelques jours seulement après l’IPO, les autorités chinoises ont semé le trouble en annonçant une enquête sur les pratiques de l’entreprise en termes de cybersécurité. En guise de sanctions immédiates, Pékin a suspendu l’application Didi des app stores, empêchant de fait le recrutement de nouveaux clients.
Didi s’est alors trouvée prise entre le marteau de la nécessaire fidélité à son pays et l’enclume des demandes des autorités américaines. Elle risquait à la fois des sanctions dans ses frontières, et une radiation de la part de Washington. Face à cette situation intenable, la décision de hâter la sortie de la Bourse après moins d’un an de présence a été prise.
Cette fin malheureuse de l’aventure boursière restera dans les annales. Non pas parce que la tentative d’ouverture à l’Occident de Didi aura fait long feu – toutes les aventures boursières ne sont pas couronnées de succès –, mais parce que ce sont les petites mains qui auront été sacrifiées dans cette histoire.
Les petits porteurs règlent la note
La chose est désormais actée : les actionnaires possédant des titres Didi aujourd’hui cotés à la Bourse de New York ne pourront bientôt plus les échanger. En l’absence de marché secondaire, ils détiendront des titres non cotés américains représentant une fraction de capital d’une entreprise Chinoise qui ne fait pas de bénéfices et ne verse pas de dividendes.
Autant dire que les « bouts de papier » n’auront qu’une valeur hypothétique. Or, pour rappel, ces titres avaient été vendus la bagatelle de 4,4 Mds$ il y a moins d’un an de cela ! Ce gigantesque transfert de richesse, équivalent au coût annuel d’une flotte de 17 porte-avions, aura été principalement payé par les petits porteurs.
Avant l’IPO, les grosses mains s’étaient déjà largement positionnées sur les dossiers de mobilité.
Softbank possédait, avant l’introduction en Bourse, déjà plus de 21 % du capital de Didi. Uber avait pour sa part la deuxième place du podium, détenant 12,8 % de son concurrent chinois. (Une participation acquise en 2016 lorsque Didi a racheté pour 7 Mds$ Uber China.) Tencent, maison-mère de WeChat, possédait un peu moins de 7 % du capital.
La valorisation du groupe s’est effondrée de -87 % en neuf mois
De son côté, Didi n’était pas non plus timide lorsqu’il s’agissait d’investir. Le groupe a pris des participations dans Grab, Lyft, Ola, et même Uber. Autant dire que le capital des géants de la mobilité s’était déjà bien structuré avant l’été 2021.
Ouvrir le capital sur la place de New York était donc un moyen pour les grosses mains d’arrêter de financer la croissance avec leurs liquidités et de se tourner vers la masse des investisseurs anonymes pour apporter des milliards d’euros. C’est le principe de toutes les IPO, et c’est pour cette raison que je déconseille la plupart du temps d’y participer. D’ailleurs, Arthur Toce vous mettait déjà en garde sur le dossier Didi en juillet 2021.
Gardez bien en tête que si les grosses mains ouvrent le capital, ce n’est pas par altruisme. En période d’argent gratuit, ce n’est pas non plus le manque de liquidités qui conduit à céder ses participations… mais bien la perspective de vendre des titres plus cher que ce qu’ils ne valent vraiment.
L’évolution boursière de Didi en est la preuve la plus flagrante. La chute de -18 % du titre subie le 18 avril n’est que la suite d’une longue glissade qui aura vu la valorisation du groupe s’effondrer de -87 % en neuf mois. En représentation mensuelle, ce qui serait un krach d’anthologie sur n’importe quelle valeur sérieuse est invisible tant la tendance de fond était catastrophique.
Evolution du titre Didi à la Bourse de New York depuis son IPO (Infographie : Investing.com)
Avec un tel parcours boursier, il n’y a eu que des perdants chez les petites mains. Que les titres aient vocation à perdre toute valeur dans les prochaines semaines n’est finalement pas si douloureux pour des actionnaires qui ont déjà perdu 87 % de leur investissement : le mal est déjà fait.
Deux enseignements à tirer
Pour transformer cette déplorable aventure boursière en leçon, nous pouvons tirer deux enseignements.
Le premier est que les IPO restent le moment le plus défavorable pour se positionner quand on est un investisseur particulier. Les vendeurs ont accès aux informations d’insider, vont dégager des bénéfices ayant acquis leur part du capital à bas prix, et fixent le prix d’introduction. Les acheteurs ne peuvent que s’appuyer sur leur confiance aveugle dans les communiqués boursiers.
Lors d’une IPO, le mécanisme de recherche du bon prix du marché n’a pas encore eu lieu. Or, si imparfait qu’il soit, il reste irremplaçable : l’évolution du prix de l’action Didi montre que la foule a progressivement pris conscience de la valeur intrinsèque du dossier. La valorisation actuelle n’a plus rien à voir avec celle demandée par Softbank (encore elle !) l’été dernier, et se rapproche de la valeur intrinsèque d’une action vouée à disparaître : zéro.
Il est vital d’intégrer un risque politique aux dossiers internationaux
Le second enseignement est qu’il est vital d’intégrer un risque politique aux dossiers internationaux. Lorsque vous prenez des participations dans des entreprises étrangères, ou que vous logez des actifs dans des établissements hors de nos frontières, n’oubliez pas que vous pouvez perdre l’accès à vos actions d’un claquement de doigt législatif.
C’est vrai pour les entreprises technologiques chinoises, qui sont soumises comme Didi à la pression de leur pays d’origine et de leur pays d’accueil… mais ces dernières semaines nous ont montré que le risque politique n’est pas limité à la Chine et aux Etats-Unis. Les Européens qui avaient acheté, en toute bonne foi, des actions d’entreprises russes présentées comme vertueuses sur le moment peuvent aujourd’hui tirer un trait sur ces lignes.
Le paysage politique étant par nature changeant, les entreprises stars d’un jour peuvent rapidement devenir des parias. C’est d’autant plus vrai dans le secteur technologique où les revirements se font sans prévenir, et où la domination d’un marché n’a rien d’acquis. En parallèle de l’annonce du retrait de la cote, Didi annonçait également ce week-end une contraction de -12 % de son activité en Chine sur le dernier trimestre 2021. L’optimisme béat de l’été dernier est bien loin…