[Renault n’en est pas à sa première tentative d’incursion dans le marché chinois. Mais, malgré tous les efforts déployés ces dernières années, force est de le reconnaître, le constructeur s’y est tout de même bien cassé les dents… Nouvelle tentative cette année avec Geely. Nouvelle stratégie aussi. Cette fois-ci, il ne s’agira pas d’exporter les compétences et savoir-faire français mais bien de s’appuyer sur leurs homologues chinois. Le tout afin de mieux apprivoiser et pénétrer le marché par la suite… Tout un programme !]
Avec l’essor de la mondialisation, et la multiplication des collaborations entre les entreprises françaises et chinoises, nous avons pris l’habitude d’entendre parler de transferts technologiques.
Renault n’en est pas à sa première tentative d’incursion dans le marché chinois
Depuis vingt ans, la litanie est bien connue : après chaque annonce de partenariat, après chaque création de coentreprise, après chaque gros contrat signé par les pouvoirs publics vient toujours le moment de vérité… C’est du bout des lèvres qu’industriels, P-DG et même responsables politiques finissent, inlassablement, par évoquer ces fameux transferts de compétences.
Et, dans ce domaine, la stratégie de la Chine a toujours été clairement revendiquée. D’accord pour être l’usine du monde. D’accord pour fournir de la main-d’œuvre qualifiée à bas prix. D’accord pour prendre à sa charge l’impact écologique et énergétique de la fabrication de produits high-tech. Mais, en guise de rémunération, l’empire du Milieu exigeait une contrepartie : pouvoir absorber les savoir-faire occidentaux.
Signe que les temps ont bien changé, le mouvement de balancier technologique commence à s’inverser…. Cet été, le Français Renault a annoncé un partenariat avec son homologue chinois Geely. Cette fois-ci, le bénéficiaire des transferts technologiques ne sera pas celui que l’on croit…
Quand la France achète des technologies chinoises
Renault n’en est pas à sa première tentative d’incursion dans le marché chinois. En 2013, la marque avait lancé une coentreprise avec la Dongfeng Motor Corporation pour vendre, sous marque Renault, ses modèles thermiques. Mais, quelques années plus tard, cette la collaboration a pris fin avec la cession, en 2020, des parts de Renault à son partenaire chinois.
Malgré les efforts déployés, le marché n’a jamais plébiscité les modèles de la marque et les ventes sont restées anecdotiques. Renault a ainsi rejoint Stellantis (à l’époque PSA) dans le triste club des industriels français s’étant cassé les dents sur le marché chinois.
Nouvelle tentative cette année avec Geely. Le groupe a pour ambition de produire de nouveaux modèles hybrides à destination de la Chine et de la Corée du Sud avant de lancer de nouveaux véhicules 100 % électriques.
Or, il ne s’agit pas cette fois-ci d’exporter une technologie française mais bien de s’appuyer sur le savoir-faire chinois. Les futurs modèles, s’ils seront bien frappés d’un losange, seront fabriqués par Geely. A ce déplacement de la production, désormais habituel pour les constructeurs occidentaux, s’ajoute un transfert technologique inversé.
Plus question d’exporter des modèles conçus en France, les Renault hybrides asiatiques s’appuieront sur une plateforme développée par Geely. Dispositif déjà utilisé par le constructeur sous les marques Lynk & Co et Volvo (rachetée par Geely en 2010).
La plateforme à motorisation hybride de Geely, déjà utilisée pour le Lynk & Co 01 et le Volvo XC40,
sera bientôt exploitée sous marque Renault
Photo : Lynk & Co
Après l’échec des Kadjar, Koleos et autres Captur thermiques, le constructeur français a choisi de se baser sur une technologie chinoise pour proposer des modèles hybrides en Asie du Sud-Est. Cette sous-traitance lui permettra, dans le futur, de migrer sans efforts de R&D sa gamme vers du tout-électrique et, à terme, vers la motorisation à hydrogène qui a désormais les faveurs de Pékin.
Vers un rééquilibrage de la balance technologique
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La stratégie d’apprentissage accéléré par transferts technologiques voulue par Pékin a porté ses fruits. En deux décennies, la Chine a rattrapé près d’un siècle de progrès occidentaux. Nous avons même souvent l’occasion, dans ces colonnes, d’évoquer les domaines dans lesquels l’empire du Milieu dépasse désormais l’Europe. Informatique quantique, course à l’espace, voitures à hydrogène et plus récemment trains à grande vitesse : les succès asiatiques ne manquent pas.[
Les termes du partenariat entre Renault et Geely prouvent que le Vieux Continent n’a plus le monopole de l’innovation et des capacités d’industrialisation. Et cette nouvelle répartition des rôles aura des conséquences en cascade.
A terme, ce sont naturellement les consommateurs qui en sortiront gagnants en bénéficiant de produits plus évolués à moindres coûts. Pour les industriels qui s’étaient réfugiés dans l’ingénierie et le haut de gamme, la vigilance est de mise pour ne pas prendre le même chemin que notre industrie manufacturière. Pour les investisseurs, il est plus nécessaire que jamais de limiter ses participations aux entreprises capables de conserver, dans les prochaines années, leur avantage technologique. Les autres suivront bientôt le chemin de Compaq, Arcelor, Chrysler et autres Kodak…
De l’autre côté du miroir, les acteurs chinois vont continuer progressivement à s’accaparer de la marge dans la chaîne de valeur globale. Le parcours boursier de Geely, un des rares constructeurs automobiles chinois à ne pas être sous contrôle étatique, montre que ce positionnement peut être particulièrement rentable. Passant de 3,8 HKD début 2011 à 32,9 HKD en début d’année, l’action a presque connu une multiplication par 10 de sa valeur. Avec -30 % sur la même période, les actionnaires de Renault auraient bien aimé pouvoir en dire autant…