Les résultats trimestriels de SoftBank étaient attendus avec impatience par les investisseurs. Après les mésaventures de WeWork, tous brûlaient de savoir comment Masayoshi Son, le faiseur de rois du monde de la tech, parviendrait à rattraper le tir.
Les analystes, qui tablaient sur un résultat négatif de 48 Mds¥ ( -0,4 Md€), étaient finalement optimistes : le groupe a enregistré une perte de 704 Mds¥ (-5,82 Mds€). Ce trou d’air, en plus d’être le premier trimestre dans le rouge depuis quatorze ans, est d’une ampleur historique. L’année dernière, le groupe avait dégagé un bénéfice de 705,7 Mds¥ sur la même période…
Cette parfaite symétrie entre gains de 2018 et pertes de 2019 a obligé Masayoshi Son à un rare exercice de contrition. Le P-DG de SoftBank a admis « des erreurs de jugement » sur le dossier WeWork et annoncé que le sauvetage déclenché après l’IPO manquée serait une exception qui ne se reproduirait pas.
Quel avenir pour les Vision Funds ?
Les chiffres sont encore plus inquiétants lorsque l’on regarde les comptes du Vision Fund plutôt que ceux de SoftBank dans sa globalité. Le fonds a essuyé, lors du dernier trimestre, une perte de 970 Mds¥ (-8 Mds€). Sur l’année, le résultat net est désormais de -538 Mds¥ (-4,44 Mds€).
Si WeWork est la cause principale de ce trou d’air, elle n’est pas pour autant la seule responsable de ces mauvaises performances. D’autres titres ont également subi de sévères corrections. La valeur de la participation dans Uber, par exemple, a fondu de -40 % depuis le 1er juillet.
La descente aux enfers d’Uber depuis l’été a déjà coûté cher à SoftBank
et se poursuit sur le trimestre en cours.
Le Vision Fund originel est à un moment charnière de son existence. Son fonctionnement initial, qui consistait à participer à des tours de table de private equity avec des valorisations toujours plus hautes, ne semble pas transposable aux marchés cotés.
La Bourse, malgré tous ses défauts, reste un lieu de confrontation irremplaçable entre acheteurs et vendeurs, et les actions surévaluées sont parfois balayées par un revers de la « main invisible » du marché.
En fixant le prix de ses participations dans des salles de réunion feutrées avec son réseau de co-investisseurs, Masayoshi Son pouvait annoncer, trimestre après trimestre, que ses actions d’entreprises innovantes valaient toujours plus cher. Les gains « sur le papier » du Vision Fund, affichés fièrement depuis sa création, n’ont pu jusqu’ici être transformés en véritables plus-values. Il faudrait pour cela que les actions soient cotées suffisamment longtemps et à des prix suffisamment hauts pour que le fonds puisse se désengager dans de bonnes conditions.
Si les investisseurs institutionnels, hedge funds et autres particuliers ne jouent pas le jeu lors des IPO, il deviendra difficile de justifier les valorisations théoriques retenues dans les comptes de Vision Fund, sauf à appliquer des méthodes de comptabilité créatives façon Enron. Sachant que le Vision Fund avait été capitalisé à hauteur de 100 Mds$, il ne faudra pas beaucoup de trimestres comme celui qui vient de s’achever pour effacer la totalité des actifs sous gestion.
Plus que l’avenir du Vision Fund, c’est celui de sa descendance qui semble désormais incertain. Le Vision Fund 2, qui devait voir le jour cette année, prend de plus en plus de retard et aucun nouvel investisseur ne s’est engagé à rejoindre ses rangs depuis cet été…
L’exception SoftBank peut-elle continuer ?
Moody’s comme Standard & Poor’s notent d’ailleurs cette dette comme « pourrie » (catégorie junk bond).
Impossible d’évoquer la pérennité des Vision Funds sans parler de celle de SoftBank. La maison-mère, qui faisait des fonds son arme de guerre pour dominer le marché de la tech, est elle-même dans une situation financière des plus inconfortables.
La croissance du géant s’est faite principalement grâce au recours à la dette. Son bilan comporte désormais 51 Mds$ d’obligations et 36 Mds$ d’emprunts bancaires dont le coût annualisé est de 3,7 %. Autant dire qu’il faudrait un miracle pour que SoftBank parvienne à honorer l’ensemble de ses engagements. Moody’s comme Standard & Poor’s notent d’ailleurs cette dette comme « pourrie » (catégorie junk bond).
Le conglomérat mélange désormais de superbes valeurs (Sprint, ARM Holdings, Yahoo! Japan) et de véritables bombes à retardement comme le Vision Fund.
Pour les investisseurs technophiles, mieux vaut attendre que la vérité se fasse sur la valeur des participations de Vision Fund. Si SoftBank ne survit pas au poids de sa dette et à la revalorisation de ses actifs contestables, nul doute que ses joyaux seront saisis par ses créanciers et vendus à la découpe.
Un démembrement de SoftBank serait pour nous une excellente nouvelle : nous serions alors en position d’acheter ces entreprises technologiques à bon compte sans pour autant devoir être exposés aux paris mégalomanes de Masayoshi Son.