D’ici 2030, nous travaillerons tous 15 heures par semaine.
C’est la souvent citée conclusion de l’essai que John Maynard Keynes a publié en 1930 : Perspectives économiques pour nos petits-enfants.
Seulement, pour le moment, la semaine de 15 heures semble loin, très loin. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, les heures de travail ont en fait augmenté depuis 1970.
Nombre d’heures de travail hebdomadaire – Source: ourworldindata.org/working-hours
En France, en Espagne et en Italie, le temps de travail est en baisse. Mais il reste en moyenne supérieur à 35 heures par semaine.
Avec tous les progrès de productivité depuis les années 70, nous devrions travailler moins, pas plus.
Eh bien, peut-être est-ce le cas. C’est ce que je vous propose de voir aujourd’hui.
La semaine de travail de 15 heures de Keynes, c’est ici, maintenant
Selon Tim Worstall, chroniqueur chez Forbes, la semaine de travail de 15 heures est déjà là.
Il soutient que bien que les heures de travail n’aient pas beaucoup diminué, le travail domestique, lui, s’est grandement réduit : « Keynes avait raison en général, nous travaillons tous moins d’heures que nos grands-parents. Là où il avait tort, c’est sur les détails. Nous avons mécanisé le ménage et c’est ce qui nous a donné les loisirs supplémentaires ».
Worstall souligne que plus nous possédons d’appareils électroménagers, plus les heures de travail « domestique » tendent à se réduire. Le temps consacré aux tâches ménagères est passé de 60 heures en 1900 à un peu plus de 15 en 2015.
Le premier graphique indique la progression de la possession d’appareils électroménagers aux Etats-Unis. Le second, l’évolution du nombre d’heures consacrées aux tâches domestiques pour un foyer de 2 personnes – Source : ourworldindata.org/working-hours
Mais cette explication semble un peu facile… et incomplète. Keynes parlait d’une « solution à nos problèmes économiques », pas des tâches ménagères.
Voici ce qu’il disait dans son essai : « ma conclusion est la suivante : en admettant qu’il n’y ait pas d’ici là de grande guerre ou un accroissement considérable de la population, le problème économique peut être résolu, ou du moins en bonne voie de solution d’ici 100 ans ».
Keynes fondait ce postulat sur l’hypothèse que nous serions environ huit fois mieux payé aujourd’hui que nous l’étions en 1930, ce que nous sommes.
Alors, que s’est-il passé ?
Le prix des logements a augmenté deux fois plus vite que les salaires
Dans le numéro de septembre de Cycles, Trends and Forecasts, Akhil Patel nous a donné une réponse révélatrice à cette question. Il a conclu que même si les salaires ont augmenté, tout cet argent supplémentaire est allé dans le logement.
La croissance économique de ces dernières décennies a alimenté la croissance du prix du foncier – qui dépasse de loin celle des salaires.
Cela signifie que tout l’excédent produit a « disparu » dans la valeur locative des terrains et dans les prix de l’immobilier. Pensez à la part de votre salaire qui part dans votre loyer ou le remboursement de votre emprunt immobilier. Et la part de salaire disponible après remboursement ou loyer est de plus en plus réduire.
C’est ce qu’illustre le graphique ci-dessous : la ligne bleue représente les salaires moyens depuis 1955 – qui ont augmenté, en termes nominaux, d’environ 70 fois. En vert, le prix moyen des maisons en Grande-Bretagne, qui a augmenté presque deux fois plus.
Source : Banque d’Angleterre, Fed de Saint-Louis
Et cette tendance n’est pas prête de s’inverser.
Cela explique en partie pourquoi nous ne travaillons pas moins.
La question qui se pose maintenant est la suivante : que va-t-il se passer alors que la robotisation détruit un nombre croissant d’emplois ?
Nous ne pourrons pas tous travailler à temps plein s’il n’y a tout simplement pas assez d’emplois à pourvoir.
Watson veut votre travail
Chaque jour, nous entendons de plus en plus de prédictions sur ces robots « voleurs d’emplois ». Les estimations actuelles indiquent qu’environ la moitié de nos emplois sera automatisée d’ici 2033. Au fur et à mesure que l’intelligence artificielle (IA) progressera, elle ne prendra pas seulement en charge les tâches routinières, mais aussi les tâches complexes.
Le tableau ci-dessous montre les conséquences que la technologie a déjà eues sur les tâches de routine au cours des dernières années.
Source : Fed de Saint-Louis
Et une fois que l’IA aura commencé à prendre en charge les tâches plus inhabituelles et complexes, nous aurons tous un (gros) problème.
Et quand je dis « aura commencé », j’aurais mieux fait d’écrire au présent. Car, pour tout dire, c’est déjà le cas.
Cette année, l’assureur japonais Fukoku Mutual Life Insurance a licencié 34 salariés et les a remplacés par l’intelligence artificielle d’IBM, Watson. Selon la compagnie, ce remplacement lui permettrait d’économiser 140 millions de yens (l’équivalent d’un peu plus d’un million d’euros) par an, passé le coût d’achat de 200 millions de yens (1,5 million d’euros).
En Chine, 40 hôpitaux utilisent une version médicale de Watson. Ces médecins l’utilisent pour évaluer les traitements contre le cancer, lire des images médicales et envoyer des alertes de santé.
Les emplois que l’IA remplace ne reviendront pas de sitôt.
La semaine de 15 heures à portée de main !
Avec la moitié de nos emplois pris par des robots, il y a de grandes chances que notre temps moyen de travail tombe rapidement à 15 heures hebdomadaires.
Et c’est pourquoi l’idée d’un revenu de base universel gagne en popularité dans le monde entier.
Vous êtes probablement déjà familier avec le concept de revenu universel qui a fait la une des médias, en France, lors de la dernière campagne présidentielle. Voici donc rapidement de quoi il s’agit : le revenu universel donne à tous les citoyens d’un pays une somme d’argent donnée. Ils reçoivent cet argent peu importe leur revenu, leurs ressources ou leur statut d’emploi.
Certaines personnes y voient un moyen de simplifier le système de prestations sociales. L’idée est d’assurer à tous un revenu suffisant pour se situer au-dessus du seuil de pauvreté.
Pour ses défenseurs, le revenu universel aurait le même coût que l’actuel système d’aide au Royaume-Uni ou en France, mais serait plus efficace aussi bien pour les employés que pour les chômeurs.
Selon le Forum économique mondial, avec le revenu universel, tous les revenus du travail rémunéré (après impôts) sont des revenus supplémentaires. Donc, chacun est toujours mieux loti en termes de revenu total, qu’il travaille à temps complet ou partiel.
Ainsi, le revenu de base ne réduit pas l’intérêt qu’un individu peut avoir à travailler, au contraire.
Plusieurs essais de revenu universel sont actuellement en cours, par exemple en Finlande, au Kenya, en Ontario, aux Pays-Bas ou en Ouganda. Et la Silicon Valley s’y intéresse aussi, avec Y Combinator qui mène une étude pilote à Oakland, en Californie.
Les résultats déjà obtenus sont largement positifs : en Namibie, le revenu de base universel a fait chuter les taux de criminalité de 42% ; et au Manitoba au Canada, les hospitalisations ont diminué de 8,5%.
Il faudra encore de nombreuses études avant de parvenir à des conclusions plus définitives mais le mouvement en faveur d’un revenu de base universel est en pleine extension.
Et alors que la robotisation et l’intelligence artificielle ne cessent de progresser, le débat autour du revenu universel va gagner en crédibilité.
Si tout se passe bien, nous ne travaillerons bientôt plus que 15 heures par semaine.
Et nous pourrons répondre à cette question posée par Keynes : « le problème économique résolu, l’humanité sera dépourvue de son but traditionnel. Sera-ce un avantage ? »
Je vous laisse y réfléchir…
[NDLR : Le prochain numéro de NewTech Insider est d’ailleurs entièrement consacré à l’intelligence artificielle. Ray Blanco vous y recommandera un des leaders du secteur. Les robots vous voleront peut-être bientôt nos emplois mais, en attendant, ils nous permettent de faire le plein de plus-values ! Si vous n’êtes pas encore abonné, il est encore temps de le faire pour recevoir la prochaine recommandation de Ray.]
Harry Hamburg