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Semi-conducteur : IBM voit plus loin que la crise

par Etienne Henri
IBM semi-conducteurs Watson

Si IBM est un « dinosaure » de la tech, ses dernières annonces nous le montrent, l’entreprise est résolument tournée vers l’avenir. Elles ont même tendance à dénoter dans le contexte actuel de pénurie de semi-conducteurs. Car, au lieu de chercher à renforcer son appareil de production, Big Blue préfère se concentrer sur la R&D. Un pari, certes, à contre-courant de la tendance, mais très visionnaire…

En matière de semi-conducteurs, la stratégie d’IBM détonne

Serait-ce le signe que la phase aiguë de la crise du semi-conducteur touche à sa fin ? Le géant IBM a annoncé mi-octobre un grand plan d’investissement qui se démarque nettement des pratiques de la concurrence.

Dans ce secteur en surchauffe, les projets ne manquent pas. Asie, Europe, Etats-Unis… tous les grands blocs économiques font dans la surenchère pour assurer leur approvisionnement en microprocesseurs.

Depuis un an, les gouvernements font les yeux doux aux fondeurs pour qu’ils installent des capacités de production supplémentaires sur leur territoire. Accompagnement législatif, subventions, rien n’est trop beau pour inciter les industriels à ouvrir des fonderies dans les zones économiques qui se contentaient ces dernières années d’importer des puces, afin qu’elles retrouvent une forme de souveraineté technologique.

Aux Etats-Unis, berceau de la microélectronique, l’été fut l’occasion d’officialiser plusieurs grands plans. Le fabricant de puces Micron a annoncé son intention d’ouvrir de nouvelles lignes de production dans l’Etat de New York, tandis qu’Intel a confirmé son projet d’ouvrir une megafactory en Ohio.

Dans cette course aux volumes supplémentaires, la stratégie d’IBM détonne. Le pionnier de l’informatique a en effet décidé d’investir non pas dans les capacités de production, mais dans la R&D. Cet investissement ne portera donc ses fruits que lors du prochain cycle économique… et IBM n’a peut-être pas tort de faire ce pari à rebours du consensus des analystes et de la volonté affichée des hommes politiques.

Une pénurie, mais pour combien de temps ?

La pénurie de semi-conducteurs était surtout aiguë sur le front des composants bas et moyen de gamme. En effet, les puces les plus évoluées sont par définition toujours à la limite de l’état de l’art, donc structurellement chères et disponibles en quantité limitée.

Ce qui déstabilise l’industrie depuis deux ans, c’est que des microprocesseurs qui coûtaient entre 0,50 € et 5 €, et représentaient à ce titre une part absolument négligeable de la chaîne de valeur des produits électroniques, sont devenus introuvables du jour au lendemain.

C’est ainsi que, du lave-linge à 200 € à la voiture à 40 000 €, des millions de produits n’ont pu être assemblés par manque de composants dont le coût catalogue est normalement insignifiant.

IBM fait l’impasse sur la course aux semi-conducteurs des années 2020

Industriels et Etats y ont vu – à juste titre – l’occasion de débloquer facilement de la valeur ajoutée globale. En augmentant les capacités de production de ces puces peu techniques, c’est toute l’industrie qui retrouverait des marges de manœuvre.

Bien sûr, les montants en jeu sont colossaux. Pour produire ces puces à quelques dollars, les usines requièrent une mise de départ se montant en dizaine de milliards de dollars. L’Europe a ainsi mis sur la table 42 Mds€ au printemps, suivie par les Etats-Unis avec 52 Mds€. Du côté du secteur privé, Intel a provisionné 100 Mds$ pour ses nouvelles installations, tandis que Micron va investir pour sa part 20 Mds$.

Or, le ralentissement de la croissance mondiale est venu entretemps résorber les tensions sur la plupart des références. Déjà, mes partenaires commerciaux chinois me confient avoir des stocks trop importants sur certaines gammes qui étaient introuvables l’année dernière à la même époque… Et ce, alors que les nouvelles usines issues des grands plans annoncés depuis 12 mois ne sont pas encore sorties de terre !

En n’investissant pas uniquement dans des capacités de production mais principalement dans la R&D, IBM fait l’impasse sur la course aux semi-conducteurs des années 2020. S’il met à son tour 20 Mds$ sur la table, c’est pour préparer ses futurs relais de croissance pour la prochaine décennie.

Les quatre paris d’IBM

En présence du président Joe Biden, le P-DG d’IBM Arvind Krishna a dévoilé les contours de la stratégie du groupe pour les dix prochaines années.

Big Blue investira dans quatre domaines fondamentaux : les techniques de fonderie des semi-conducteurs, le cloud hybride, l’intelligence artificielle et l’ordinateur quantique.

Au niveau des techniques de fonderie, IBM est en passe de rattraper, voire dépasser, TSMC et Samsung avec son procédé à 2 nm. Le Taïwanais et le Coréen ont, depuis 10 ans, laissé sur place les fondeurs occidentaux dans la course à la finesse de gravure. Mais, chaque génération est l’occasion de rebattre les cartes, et il est possible que les Etats-Unis redeviennent le leader dans la prochaine décennie si IBM atteint le 2 nm pendant que les fondeurs asiatiques restent coincés à 3 nm.

Le cloud hybride est une manière de faire communiquer des clouds publics et privés. Cela permet de mettre en place des infrastructures flexibles. Pour les entreprises, le cloud hybride offre la possibilité de s’appuyer simultanément sur les logiciels existants et d’intégrer des solutions tierces au fur et à mesure des besoins. De cette manière, l’infrastructure historique – souvent déjà amortie – est valorisée, les dépenses de cloud externe – parfois colossales – sont limitées. C’est une des principales promesses de valeur d’IBM pour les entreprises ayant déjà des infrastructures logicielles importantes.

L’intelligence artificielle (IA) reste l’un des domaines de prédilection d’IBM. Son robot Watson, qui a inauguré le concept de chatbot – programme informatique avec lequel il est possible de discuter de manière naturelle –, a fêté ses 10 ans il y a quelque mois. Depuis, les chercheurs d’IBM n’ont pas chômé. L’IA se voit désormais confier la tâche d’organiser les bases de données numériques, un domaine dans lequel le génie humain était considéré comme irremplaçable. Watson a également été décliné en version « chef de projet » pour organiser le travail d’équipes pluridisciplinaires – prenant là encore à sa charge une activité qui était trop intangible pour être confiée à des algorithmes mais dans laquelle l’IA se montre fort adaptée.

IBM est un « dinosaure » de la tech résolument tourné vers l’avenir

Enfin, l’ordinateur quantique est le relais de croissance naturel du groupe. En son temps, IBM a permis à l’informatique d’entreprise puis à l’ordinateur personnel de prendre leur envol. Si l’ordinateur quantique devait se démocratiser, il serait logique que la firme d’Arvind Krishna joue un rôle prépondérant. L’objectif du groupe est de parvenir dès que possible à un ordinateur doté d’un million de qubits sans erreurs – soit plus de 10 000 fois plus puissant que les plus gros modèles existants. En ligne de mire : un service de calcul quantique à la demande, utilisable par les informaticiens même novices, et facturé à chaque exécution. En termes de modèles d’affaires, IBM reviendrait à l’époque bénie des mainframes qui avaient consacré sa suprématie lors des débuts de l’informatique. 

Pour certains investisseurs, IBM est un « dinosaure » de la tech. Il est vrai que l’entreprise plus que centenaire n’est pas adepte des coups marketing et ne cherche pas à surfer sur l’actualité pour faire parler d’elle. Mais ses dernières annonces montrent qu’elle reste résolument tournée vers l’avenir. Si elle fait l’impasse sur le court-terme, cette nouvelle vague d’investissements lui permettra de rester un leader technologique pour les années – voire la décennie – à venir. Toutes les divas de la tech ne peuvent en dire autant !

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