Si les OGM défrayent régulièrement la chronique, chez les biotechs les recherches se poursuivent. Aux Etats-Unis, une startup, Lumen Bioscience, a modifié le génome d’un des super-aliments star du moment, la spiruline, pour produire des molécules actives à la demande. Des médicaments donc. Avec la technologie développée par Lumen Bioscience, guérir les maladies aiguës ou chroniques pourrait être simple comme un complément alimentaire…
Guérir les maladies aiguës ou chroniques pourrait être simple comme un complément alimentaire
La diffusion incontrôlée du SARS-CoV-2 nous l’a rappelé, lutter contre des agents pathogènes in vitro dans le monde simplifié des paillasses de laboratoire n’a souvent pas grand-chose à voir avec une campagne en conditions réelles.
Même lorsque nous disposons de molécules capables de lutter contre virus, bactéries et autres champignons nocifs, les administrer de manière fiable, efficace et inoffensive relève du casse-tête – sans même parler des difficultés de production à grande échelle.
La difficile naissance des vaccins à ARN messager en est l’exemple parfait. Le principe d’utiliser ces séquences codantes pour produire des protéines – donc des vaccins – est connu depuis des décennies… mais la manière de faire parvenir l’ARN messager de la seringue jusqu’à nos cellules sans qu’il soit dégradé (ou attaqué) dans l’intervalle a longtemps été un casse-tête pour les chercheurs. Le miracle de Moderna, BioNTech et Pfizer n’a pas été de fabriquer de l’ARN messager, mais bien de trouver un vecteur pour le transporter jusqu’à nos cellules. Un vecteur qui soit fiable et puisse être produit à des milliards d’exemplaires. Mission accomplie. Mais au prix d’une logistique extrêmement complexe qui, nécessitant un stockage à très basse température, a limité la diffusion de ces vaccins.
Aussi, produire, transporter et inoculer des principes actifs de la manière la plus simple qu’il soit reste un combat permanent pour l’industrie pharmaceutique. Une startup, Lumen Bioscience, a réalisé une percée significative en la matière en élaborant une chaîne complète basée sur une bactérie : la spirule.
Plus connue jusqu’ici pour ses propriétés nutritives, elle pourrait devenir une véritable usine de médicaments administrés de la manière la plus simple qu’il soit : en les mangeant.
Demain, guérir les maladies aiguës ou chroniques pourrait être simple comme un complément alimentaire (photo : Lumen Bioscience)
Les super-aliments à la rescousse
De plus en plus, le vivant est mis à profit pour produire les molécules actives des spécialités médicales. La production de molécules complexes par succession de réactions chimiques est souvent moins rentable que de déléguer la tâche à des cellules vivantes. De l’utilisation d’animaux à la culture de virus sur œufs, il est estimé que près de 70 % des médicaments utilisent des substance d’origine animale.
Pour simplifier ce processus de production, Lumen Bioscience a travaillé sur l’utilisation d’une spiruline génétiquement modifiée pour produire à la demande des molécules actives.
Début juillet, Lumen Bioscience a publié dans Nature Biotechnology ses premiers résultats
La tâche n’a pas été aisée. La simplicité du génome d’Arthrospira platensis (nom scientifique de la bactérie) n’en fait pas un candidat naturel pour devenir une « usine chimique ». La startup a donc dû développer des outils de modification génétique adaptés à la bactérie pour lui permettre d’intégrer de manière contrôlée, et fiable, du matériel génétique étranger.
Début juillet, Lumen Bioscience a publié dans Nature Biotechnology ses premiers résultats. Dans un compte-rendu particulièrement exhaustif, la startup fait le bilan de sa technique de modification génétique de la spiruline, des rendements de production, ainsi que des résultats des premiers essais cliniques chez l’homme et la souris.
Ce retour en conditions réelles particulièrement encourageant prouve que la spiruline est une stratégie prometteuse pour produire, transporter et administrer des médicaments.
Une bactérie aux performances remarquables
Les adorateurs de la spiruline avaient raison : la bactérie s’avère capable de bien des prouesses.
Dans leur première expérience, les chercheurs l’ont modifiée pour produire des anticorps contre campylobacter-a, la bactérie considérée comme la cause bactérienne la plus courante de gastroentérite humaine. Chez les individus en bonne santé des pays développés, les infections sont généralement bénignes mais elles peuvent s’avérer mortelles chez les très jeunes enfants, les personnes âgées et les individus immunodéprimés.
Cette spiruline-médicament contient 15 % d’anticorps
La première étape a été de prouver que la spiruline était capable de produire en grande quantité des anticorps contre campylobacter-a. Mission accomplie puisque, une fois la bactérie récoltée et séchée, les anticorps ont représenté jusqu’à 15 % de la biomasse. A ces niveaux, aucune étape de purification n’est nécessaire, la spiruline peut être simplement ingérée. Elle est alors composée à 85 % de substances nutritives, et à 15 % d’anticorps.
La seconde étape – le test d’efficacité – a été effectuée chez la souris. Il s’agissait de démontrer que l’ingestion de spiruline séchée avait un effet thérapeutique. Là encore, selon les données de Benjamin Jester et ses collègues, la technique s’est avérée efficace. Les rongeurs ayant ingéré de la spiruline génétiquement modifiée ont été protégés contre l’infection à campylobacter.
Enfin, les chercheurs ont mené une première phase d’étude clinique chez l’humain pour prouver l’innocuité de ce nouveau médicament. L’idée n’était alors pas de soigner ni de protéger, mais de confirmer que les sujets sains supportent bien l’ingestion de spiruline bardée d’anticorps. Cette Phase I s’est également déroulée avec succès, et l’innocuité de la spiruline-médicament a été confirmée.
Lumen Bioscience : bientôt des médicaments produits grâce à la lumière ?
L’utilisation de spiruline pour produire, distribuer et administrer les substances actives pourrait révolutionner la structure de coûts de l’industrie pharmaceutique.
Pour produire en masse les futures spécialités médicales, un simple bioréacteur éclairé grâce à des LED aux fréquences optimisées suffit. Selon la startup, la main-d’œuvre ne représenterait alors plus que 21 % des coûts de production, l’écrasante majorité étant simplement des dépenses d’électricité nécessaires à l’éclairage des bioréacteurs.
Ventilation des coûts de production de la spiruline. Economiquement parlant, la bactérie transforme la lumière en médicaments (données : Jester BW et al)
L’aval de la chaîne de valeur serait aussi simplifié. Plus de réfrigération, plus de conditionnement fragile, plus de conditions sanitaires contrôlées et de matériel à usage unique pour une injection : une simple capsule de spiruline séchée, conservée à température ambiante, suffirait.
Economiquement parlant, la bactérie transforme la lumière en médicaments
Selon Lumen Bioscience, le coût total d’administration d’un traitement serait diminué de 99,3 % par rapport aux solutions traditionnelles – soit une division d’un facteur 145 des budgets !
Déjà, l’entreprise travaille à des thérapies contre les infections à Clostridioides difficile, le SARS-CoV-2, et la maladie de Crohn. Se protéger contre ces fléaux, dans les pays développés comme émergents, était un casse-tête qui semblait insoluble. Il pourrait être réglé grâce au génie génétique et au concours d’une simple bactérie.