[Pour transférer de l’argent vers un compte bancaire à l’étranger, vous avez le choix. D’un côté, les banques et le système SWIFT : presque cinquantenaire, opaque, avec des frais de transactions élevés. De l’autre, PayPal, entre autres. Mais aussi Wise, fintech cotée à Londres depuis le 7 juillet, qui propose un service accessible et transparent, avec des commissions minimales. Un business model qui accumule les pertes dans d’autres secteurs, mais pourrait avoir plus de potentiel ici…]
Une des promesses du Bitcoin était de permettre des transferts rapides et peu coûteux pour les petites comme pour les grosses sommes d’argent. Du fait du caractère décentralisé de la monnaie, cette facilité d’échange devait être internationale.
Il aurait dû suffire, pour un acheteur et un vendeur situés dans des pays différents, de regarder le cours immédiat du Bitcoin dans leur devise locale pour convenir d’un prix en BTC. Frais bancaires, risques d’erreur et délais de paiement auraient ainsi dû disparaître depuis des années des paiements internationaux.
Vous le savez sans doute, l’adoption massive du Bitcoin pour les transferts en devise n’a jamais eu lieu. Lenteur des transactions et surtout barrières législatives ont cantonné la crypto-monnaie aux échanges spéculatifs et à quelques transactions anecdotiques.
Nous sommes donc condamnés à utiliser, pour nos virements internationaux, le vénérable système bancaire SWIFT. Les banques commerciales traditionnelles ont fait leurs choux gras de ce statu quo : 25 € par virement émis chez B For Bank, 20 € chez ING, 33 € à la Société Générale… sans compter un taux de change opaque, dont le spread est systématiquement défavorable, et des frais de réception facturés en sus au destinataire !
C’est cette tarification exorbitante qui a permis à PayPal de gagner ses lettres de noblesses dans les paiements internationaux. Même en facturant, pour ses transferts, une commission allant jusqu’à 4 %, le site de paiement en ligne s’est avéré plus pratique et moins coûteux que les banques de détail.
A l’heure où la plupart des transferts, même internationaux, sont totalement automatisés, cette rente de situation n’a plus lieu d’être. Nous avons vu fleurir, ces dernières années, des fintech qui proposent des systèmes de transferts internationaux à bas coût.
L’une d’entre elles, Wise (anciennement TransferWise), a été introduite il y a peu à la Bourse de Londres. Depuis le 7 juillet, vous pouvez acheter des titres (GB00BL9YR756 – WISEa) de cette entreprise qui vient défier frontalement les banques endormies sur leurs lauriers.
Un marché à 10 000 milliards de dollars
Le marché des transferts en devises est colossal. En 2019, les flux non commerciaux ont atteint les 715 milliards de dollars selon les données de la Banque mondiale. L’écrasante majorité (76%) de ces flux est dirigée vers les pays émergents et vient de la diaspora qui envoie de l’argent dans son pays d’origine.
Toujours selon la Banque mondiale, leur croissance annualisée dépasserait les 10% par an depuis l’an 2000 – soit près du double du rythme de croissance de l’économie mondiale, qui n’est que de 5,5% sur la même période.
En comptant les transferts commerciaux, les chiffres s’envolent : les échanges internationaux dépassent alors les 10 000 milliards de dollars par an.
Pas étonnant donc, qu’ils attirent la convoitise des banques et des fintechs. En prélevant quelques pourcents des sommes échangées, les opérateurs captent des flux se chiffrant en dizaines de milliards de dollars.
Or, les commissions pouvaient avoir un sens à l’époque où les systèmes de paiements nationaux n’étaient pas encore connectés à grande échelle. Jusqu’à récemment, les transferts en devises impliquaient souvent plusieurs d’établissements intermédiaires, et parfois même des opérations manuelles. Leur coût exorbitant était justifié par la lenteur des opérations (qui induisaient un risque de change pour la banque) et les frais de personnel.
A l’heure des cotations en direct et de l’interconnexion des établissements bancaires, cette rente ne se justifie plus. C’est ce constat qui a conduit deux Estoniens, Kristo Käärmann et Taavet Hinrikus, à créer en 2011 leur fintech dédiée aux paiements internationaux : TransferWise (désormais renommée Wise).
Wise : des transferts à coût bas et transparent
La proposition de valeur de Wise est des plus simples. L’émetteur indique le montant qu’il souhaite envoyer et la devise du destinataire, et le site web lui donne un prix tout-compris dans sa devise locale.
Faire un transfert international est désormais simple et transparent. Source : wise.com
Le taux proposé est mis à jour en temps réel. Il se base sur le prix spot des devises et inclut une prime de risque de change ainsi que la rémunération de l’entreprise. La plupart du temps, ce taux « chargé » est sensiblement plus avantageux que celui proposé par les banques de détail – sans même compter leurs frais additionnels.
Wise dispose d’une présence internationale avec des filiales en Europe, aux USA, au Japon, en Australie et à Singapour. Cette présence mondiale lui permet de gérer en interne la plupart des conversions de devises. Là où le système bancaire local le permet, le virement envers le destinataire peut ainsi avoir lieu de façon instantanée si le compte de l’émetteur est approvisionné.
En parallèle, Wise empiète de plus en plus sur les plates-bandes des néobanques avec la fourniture d’une carte de débit Mastercard rattachée au compte multi-devises.
Le faible coût, la fiabilité et la simplicité d’utilisation du service de paiement international ont offert à Wise une croissance exponentielle de son nombre d’utilisateurs.
A la clôture de son exercice 2020, la startup comptait pas moins de 8 millions de clients. Elle a traité, sur l’exercice passé, 92 milliards de dollars de paiements dont 58 milliards de dollars incluant une conversion de devise.
Son potentiel de croissance n’est pour autant pas épuisé : à l’heure actuelle, l’Europe est encore à l’origine de 52% de l’activité de l’entreprise. Les USA contribuent pour leur part à 26 du CA, tandis que le reste du monde ne représente que 22%. L’internationalisation de l’activité de Wise laisse par conséquent espérer une multiplication significative de son chiffre d’affaires dans les prochaines années.
Le low-cost qui rapporte
Malgré sa volonté revendiquée de casser les prix des transferts internationaux, Wise n’a pas fondé son succès sur la politique de la terre brûlée. Sur les 92 Mds$ de dollars transférés sur le dernier exercice, elle a facturé 417 M$ de commissions.
Avec un chiffre d’affaires représentant 0,45% des sommes transférées, Wise facture près de dix fois moins de frais que son concurrent historique Paypal.
Pour autant la start-up est rentable puisqu’elle a dégagé une marge nette de 29,44 millions de dollars sur la même période. Ce niveau de rentabilité permet à la fois de rassurer les clients quant à la pérennité de l’entreprise, et de confirmer publiquement que le positionnement low-cost n’est pas un simple argument marketing mais une réalité commerciale.
Il est fréquent que les entreprises entrent en Bourse après un exercice particulièrement favorable. Traditionnellement, l’année précédant l’IPO voit ses comptes époussetés, embellis, voire clairement maquillés à la limite de l’honnêteté comptable.
Pour Wise, l’année 2020 n’a en fait rien d’exceptionnel. Certes, le CA a bondi de 70% sur 12 mois, mais la croissance ne date pas de l’année dernière. Elle est quasi-ininterrompue depuis la naissance de la start-up, et la rentabilité se retrouve chaque année depuis 2017.
Ces comptes dans le vert et le milliard de dollars levés depuis la création mettent Wise dans une situation peu classique : elle n’a pas besoin de liquidités pour financer sa croissance.
L’entreprise entre en Bourse le mois prochain, mais pas pour lever des fonds. Plutôt que de faire une IPO avec émission de nouvelles actions, elle va opter pour une cotation directe.
Quel est ce mécanisme ? Pourquoi une entreprise prendrait-elle le chemin de la Bourse si elle n’a pas besoin d’argent ? Que faut-il en penser en tant qu’investisseur particulier ?
Rendez-vous dans un prochain article pour faire le point sur ce nouveau mode de cotation et ses implications.